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    Bonjour à tous et ... bonne et heureuse année 2024 !

    Pour  cette première communication de l'année, on va commencer très fort.

    Nous allons découvrir une arme splendide et plutôt rare dans son incroyable état de fraîcheur.

    Voici la Carabine Modèle 1846 à Tige :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Mais avant de découvrir l'arme en détail, prenons le temps de décrire le système à tige et ses devanciers :

    Le système à tige de notre carabine s'inscrit dans le cadre de la recherche conduite depuis plusieurs années autour de l'amélioration de la précision et de la portée de nos armes rayées.

    Nos premières armes militaires rayées tiraient une balle ronde, enveloppée dans un "calpin" de tissu gras, que l'on chargeait dans le canon à coups de maillet.

    C'était le cas des "Carabines de Versailles" Modèles 1793 et An XII. Très difficiles à utiliser de par le mode de chargement, elles ont rapidement été abandonnées.

    30 années plus tard, on reprit les essais sur le rayage des armes portatives, études rendues nécessaires par la situation en Algérie ou les tribus autochtones utilisaient des armes de portées supérieures à celle de nos Fusils Mle 1822 lisses.

    C'est ainsi que, à la suite des essais de M. Delvigne, Lieutenant de la Garde Royale, on adopte la Carabine de Tirailleurs Mle 1837 dite "Petite Carabine" et le Fusil de Rempart Mle 1838 dit "Grosse Carabine", armes rayées tirant une balle ronde placée sur un sabot. La culasse de ces armes était rétrécies de sorte que l'on pouvait aplatir la balle en plomb à coups de baguette, ce qui l'élargissait en l'imprimant sur le relief des rayures.
    Voici un schéma tiré de l'ouvrage de Jean Boudriot "les armes réglementaires à percussion 1836 - 1857" :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    On développa plusieurs armes longues rayées selon ce principe, tout en recherchant à simplifier leur fabrication et tâtonnant quand au rayage de leur canon. Ce furent successivement : la Carabine Mle 1840, dite "Carabine Thierry", le Fusil de Rempart Mle 1840, le Fusil de Rempart Allégé Mle 1840, la Carabine Mle 1842, dite "Carabine d'Orléans", et enfin le Fusil de Rempart Mle 1842.

    La distinction entre un fusil de rempart et une carabine tient essentiellement au calibre : 20,5 mm d'un côté et 17,5 mm de l'autre. Les fusils de remparts étaient destinés à effectuer des tirs au posé à longue distance sur buts sensibles tels que canonniers et officiers par exemple.

    Au final, ces armes donnaient une portée et une précision meilleures que celle de nos fusils lisses, mais au prix de graves inconvénients :
    - La chambre rétrécie se révèlera difficile à nettoyer, l'accumulation des résidus rendant impossible le bon forcement de la balle.
    - Le sabot en bois compliquait la fabrication des cartouches, et trop souvent, il se fendait dans l'âme du canon et projetait des éclats dangereux pour les voisins du tireur. 

    Il fut alors décidé d'abandonner le système Delvigne de chambre rétrécie.

    On adopta un système inverse : la culasse à tige. La culasse, de même diamètre que le canon, recevait une forte tige vissée en son milieu. L'espace entre le canon et la tige était destiné à recevoir la charge de poudre.

    La balle ronde à sabot de bois était abandonnée. On adopta la forte et lourde balle cannelée ogivale de M. Tamisier. 

    On chargeait la balle enveloppée par le papier de la cartouche directement sur la poudre, la balle arrêtée par la tige recevait deux forts coups de baguette pour s'élargir et prendre la rayure. Le nez de la baguette était creusé d'une empreinte pour correspondre à l'ogive sans la déformer.

    Ce schéma tiré du même ouvrage nous explique le système :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Ce sytème apporta une notable amélioration de la précision des tirs jusqu'aux distances de 200 mètres et plus.

    Les carabines à tige donnèrent entièrement satisfaction aux troupes qui en étaient équipées : la Légion Étrangère et les Zouaves en particulier, qui servaient alors essentiellement en Algérie. Les hommes étaient formés à l'utilisation de ces armes radicalement différentes des fusils 1842 alors en service.

    Cependant, et à l'image de ce qui avait été déploré sur les chambres rétrécies, l'espace entre la tige et le canon, destiné à recevoir la charge de poudre, s'encrassait rapidement, la poudre dépassait de la tige et gênait puis empêchait l'expansion de la balle, du coup la précision chutait fortement. Il devenait nécessaire de procéder au difficile nettoyage du canon et de la tige.

    La solution définitive à la problèmatique du tir précis sur une arme rayée chargée par la bouche viendra avec les travaux de M. Minié et de sa balle évidée, mise au point entre 1845 et 1851 et adoptée en 1854.

    * * * * * *

    La Carabine Modèle 1846 conserve les mêmes dimensions que les carabines des modèles précédents, notamment les carabines 1840 et 1842.

    L'arme mesure 1,26 m et son poids est de 4,33 kg.

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    Voici une petite revue de détail, organe par organe et leurs marquages. Commençons la visite :  

    La platine

    La platine est marquée de la Manufacture Royale de Châtellerault.
    Il s'agit d'une platine inversée identique à celles qui équipent toutes nos armes depuis les systèmes 1840 et 1842 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    L'intérieur de cette pièce nous montre une platine modèle 1840 avec ses piliers de bride de noix rapprochés. On note que la gâchette, la noix, la bride de noix et ses vis ont été forgées par le même compagnon platineur identifié sous le n° 16 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    La hausse réglable

    La hausse réglable en fonction des distances est, à cette époque, l'apanage exclusif des carabines rayées. Elle est d'un modèle à la fois simple et pratique qui permet d'ajuster une visée sans masquer la vue autour de la cible. C'était le principal défaut des hausses à trous superposés qui équipaient nos carabines précédentes.

    La hausse se compose d'une embase longue de 61 mm, brasée à 88 mm de la tranche arrière du canon et portant une planchette graduée, que l'on pouvait relever, et un ressort plat agissant sur le pied de la planchette. Un curseur mobile, portant un cran de mire, pouvait se mouvoir à frottement dur le long de la planchette. Il suffisait alors de le placer en regard du repère marqué à la distance sur la planchette pour obtenir la hausse correspondante. 
    En position rabattue, la planchette porte un cran de mire pour la hausse de 150 mètres.
    En position relevée, la hausse porte en bas un cran de mire fixe pour la distance de 250 mètres, puis un repère pour la distance de  350 mètres, puis six repères marqués 4 à 9, pour 400 à 900 mètres par paliers de 100, enfin un cran fixe en haut donne la hausse pour 1000 mètres.
    La curseur est retenu par une petite vis en haut de la planchette de sorte qu'il ne soit pas perdu.
    À l'usage, et à l'usure, on s'apercevra que le curseur devenait parfois trop libre sur sa planchette et qu'il tenait mal en place. Il était alors soit resserré, soit remplacé.

    Donnant toute satisfaction, ce type de hausse sera conservé quasiment tel quel sur nos carabines 1846, 1853 et 1859, mais également sur les fusils Mle 1853 T car de la Guerre de Crimée.

    La hausse rabattue présente un cran de mire pour la distance de 150 mètres. De nous jours, on l'appellerait "hausse de combat". Le cran de mire est largement entaillé pour permettre un pointage rapide, une visée plus précise reste possible par le petit cran de mire :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    La photo de la hausse rabattue montre distinctement les crans et repères de la planchette de 250 à 1000 mètres ainsi que le curseur mobile :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Voici la hausse relevée.
    On visualise bien l'angle qu'il fallait donner à l'arme pour appliquer des tirs à grande distance :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    Le tonnerre, la masselotte et la queue de culasse

    Le tonnerre porte la masselotte et sa cheminée. Devant la masselotte, l'année de fabrication 1847. Sur le pan latéral droit, les initiales MR pour Manufactures Royales.
    La cheminée est en excellent état. Et pourtant elle est d'origine :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Vue de dessus, la queue de culasse porte de manière réglementaire le millésime du modèle de l'arme : Mle 1846. Elle porte également une vis qui assure la fixation du canon, traverse la monture et vient se serrer dans la sous-garde :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sur le pan incliné gauche, les poinçons D et L du Directeur et du Premier Contrôleur de la Manufacture de Châtellerault :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Juste en dessous, voici la rosette formant contre-platine et écrou pour la vis de fixation de platine. 

    Sur le pan latéral, le chiffre 17 est poinçonné. Il s'agit d'un numéro matricule attribué à l'arme lors de sa réception en corps de troupe, conformément à l'article 71 de la décision ministérielle du 1er Mars 1854. Nous verrons que ce matricule est répété sur la crosse :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    La monture

    La monture : c'est la partie en bois de l'arme, celle par laquelle on saisit et on tient la carabine. Elle est d'une seule pièce, mais on distingue trois parties : la crosse, la poignée et le fût.

    La crosse permet d'épauler la carabine, elle maintient l'arme contre l'épaule à la distance nécéssaire pour prendre une bonne visée.

    Réglementairement, le matricule - poinçonné sur le pan gauche du canon - est répété sur le côté gauche de la crosse et parallèlement à la plaque de couche, comme ici : 

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Mais ... curieusement, nous retrouvons ce matricule également sur le busc de la crosse à un emplacement non réglementaire. À côté un n° 30 dont on ignore la signification... 
    Observons que ce numéro 17 a été frappé avec les mêmes outils aux deux emplacements :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    À sa droite, la crosse porte, de manière réglementaire, un macaron et une cheville.
    Le macaron indique le mois et l'année de fabrication : ici Décembre 1847 (Le mois est écrit en abrégé DEC-BRE) ainsi que les initiales du Directeur et du Premier Contrôleur de la Manufacture, ici L et D encadrés par des étoiles.
    Au centre du macaron, les initiales en capitales MR - pour Manufactures Royales - frappées sur une cheville de buis. À noter l'excellent état de ces marquages :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sous la crosse, tout près de la plaque de couche, se trouve le battant de bretelle spécifique des carabines :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Sous la poignée, derrière la sous-garde, un marquage nous révèle l'identité du Maître-Crossier, un certain G. Bussereau :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Les garnitures

    Les garnitures : c'est ainsi que l'on désigne l'ensemble des pièces et éléments qui assurent la cohésion et le service de l'arme.

    La pièce de sous-garde, avec ses très classiques coches pour la prise des doigts, et le pontet. Les coches pour les doigts permettaient d'assurer fermement la prise de la poignée par la main gauche, c'était nécessaire compte tenu du fort recul au tir.
    La sous-garde assure aussi le maintien du canon car elle forme écrou à la vis de culasse. Elle maintient la détente et le pontet. Elle est retenue à la monture par la vis de culasse et une vis à bois à l'arrière des coches. Le pontet est retenu par un crochet à l'arrière et une vis à métaux à l'avant.
    À nouveau, l'identifiant 11 est poinçonné sur les têtes de vis  :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    La grenadière est la première "bande" reliant le canon au fût. Cette pièce assure le guidage de la baguette dans son canal et porte le deuxième battant de bretelle.
    La grenadière est maintenue contre un épaulement du fût par un ressort à épaulement planté dans le fût. Ce ressort peut s'effacer dans une courte rainure afin de libérer la grenadière lorsque l'on veut démonter le canon :

    La Carabine à Tige Modèle 1846 

     
    L'embouchoir est la deuxième et dernière "bande" qui retient le canon sur la monture. Il assure aussi la protection du bout du fût, un endroit assez fragile car toujours très aminci.
    Enfin, l'embouchoir permet l'entrée de la rainure de la baguette par un orifice en forme de bouche.
    Il est maintenu en place par un ressort à ergot planté dans la monture et que l'on peut effacer dans une rainure :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Enfin, nous venons de l'évoquer, la crosse porte une forte plaque de couche en fer formant retour sur le busc. 
    Sur la plupart des armes de guerre, anciennes ou pas, cette plaque de couche est le plus souvent fortement marquée par les chocs de la crosse au sol, mais aussi par la corrosion.
    À noter que les têtes de vis (plaque et battant) sont poinçonnées 11, identifiant le compagnon qui était chargé de les forger.

    À nouveau, on notera le très bel état de la plaque de couche de cette carabine :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    La baguette est la dernière garniture de notre carabine. Elle est absolument indispensable au tir, car la baguette est le seul moyen de charger la munition dans le canon. Elle sert aussi à nettoyer le canon, et, si nécessaire, à extraire une balle ou un chiffon coinçés au fond du tube.
    La baguette est de la même taille que le canon, moins la hauteur de la tige (38 mm) : 0,83 m.

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Cette baguette est une forte tringle en acier, filetée à une extrémité. De l'autre côté, elle forme une tête tronconique et massive, creusée d'une empreinte pour s'adapter à l'ogive. La tête est percée d'un trou permettant d'y glisser une broche indispensable lorsqu'il faut extraire une balle. Le diamètre de la tête est de 16,8 mm. Au fort, la baguette est épaisse de 9,7 mm.

    La tête de baguette est prévue pour s'adapter à l'ogive pour ne pas la déformer par les chocs. On note que le N° 17, le matricule de la carabine, est poinçonné sur la baguette :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Le canon

    Le canon est un tube en fer forgé, épais au tonnerre et aminci à la bouche. Au tonnerre, il porte 5 méplats longs de 10 cm sur les côtés et de 8 cm au sommet, le reste du canon est de forme cylindro-tronconique. Il porte au tonnerre, nous l'avons vu, une masselotte permettant d'y visser la cheminée de guerre et une hausse réglable.

    Côté bouche, le canon porte un petit guidon de forme demi-cylindrique placé sur une embase rectangulaire. L'ensemble, haut de 7 mm, est brasé sur la directrice du canon, à 17 mm de la bouche. Ce guidon forme, avec la hausse, les organes de visée de la carabine.

    Sur son côté droit, à 45 ° du guidon, le canon porte une directrice de baïonnette et son tenon en T. Cette pièce, longue de 94 mm, est brasée. Elle est destinée à recevoir une baïonnette modèle 1842.

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Côté tonnerre le canon est fermé par une culasse vissée à chaud, prolongée par la queue de culasse.

    Cette vue permet de comprendre comment la culasse ferme le canon. Il s'agit d'un bouchon fileté venant se visser dans le canon, le bouchon est prolongé par un pan tronconique se terminant par la queue de culasse. On voit bien le coup de burin donnant l'alignement de la culasse et du canon. Le compagnon canonnier qui a forgé la pièce l'a marqué d'un étoile. Le n° 575 est répété sous le canon afin d'appairer les pièces d'une même arme :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sous le canon, nous voyons les marques faites au cours de l'épreuve de résistance au tir d'une cartouche spéciale : le poinçon E, le chiffre 10 (pour le mois d'Octobre) et le poinçon du Directeur de la manufacture en losange. L'épreuve a été validée en Octobre 1847 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Le canon est foré au diamètre de 17,8 mm. Il porte 4 rayures plates tournant de gauche à droite au pas de 2 mètres. La profondeur des rayures est dégressive, passant de 0,5 mm à la culasse à 0,2 mm à la bouche. 

    Cette disposition était destinée à limiter l'affaiblissement des parois du canon, tel qu'on le concevait alors. L'expérience, notamment des campagnes de Crimée et d'Italie, allait montrer qu'il n'en n'était rien et que l'on pouvait rayer à 0,3 mm de profondeur uniforme sans danger.

    Cette photo le rend mal, mais les quatre rayures sont restées dans un excellent état : ni usure, ni corrosion, ni accidents :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    La Baïonnette

    La carabine modèle 1846 reçoit la baïonnette modèle 1842, à forte lame courbe longue de 57,5 cm montée sur une poignée en laiton fondu et une croisière en fer forgé.

    La forme recourbée de cette baïonnette n'était pas destinée à impressionner l'ennemi. C'est une légende à la vie dure ! La lame de cette arme prend simplement une forme permettant de charger la carabine sans se blesser à la main lorsque la baïonnette est fixée au canon :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    * * * * * *

    Conclusion


    Cette très belle carabine nous est parvenue dans un incroyable état de fraîcheur. Dans cet état, sans avoir été transformée T en 59-60, l'arme est exceptionnelle. La carabine est certainement restée longtemps oubliée au fond de l'armurerie d'un corps de troupe resté fort loin des soubresauts de notre histoire...

    Exceptionnelle, et encore davantage, si l'on songe aux transformations à tabatière effectuées massivement par le Gouvernement de la Défense Nationale dès le mois d'Octobre 1870 : tout y passait, y compris d'antiques fusils Mle 1816 à silex de la Garde Nationale !

    Cette carabine est devenue le témoin passionnant d'une période de forte "ébullition technologique".
    Entre 1838 et 1859, la France adopte successivement une douzaine de modèles réglementaires de carabines rayées ! Et on n'évoque même pas les modèles d'essais et autres prototypes.

    Cette étude est à lire dans la suite de celle que j'ai consacrée à la Carabine Modèle 1859.

     

    À bientôt pour d'autres découvertes !


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  • Bonjour à tous, amis du blog et de l'Histoire,

    J'ai enfin pu mettre la main sur un beau Fusil d'infanterie Modèle 1886 M93, le mythique fusil Lebel ! 

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Ça faisait longtemps que j'en voulais un, mais soit je n'avais pas les moyens (ça coûte souvent très cher, un Lebel), soit ce n'était pas le moment, soit ... il n'y avait pas de Lebel potable en vue !

    Il faut savoir que ce fusil est resté longtemps prohibé comme arme de guerre sous l'ancienne 1ère catégorie. Désormais libéré en tant qu'arme de collection en catégorie C ... son prix s'est envolé !

    J'ai eu la chance qu'un tireur de mon club, un ancien comme on dit, soit en train de se rendre compte que ses enfants et ses petits-enfants se foutent copieusement de sa passion et de ses (belles) armes.
    Et donc il cherche à transmettre progressivement sa collection autour de lui.

    Et j'ai eu la possibilité et le plaisir de recueillir ce fusil pour un vrai prix d'ami.

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Comme on le voit, le fusil est resté beau, le bronzage est un peu atténué au niveau du boîtier, mais bien conservé sur le canon. La monture en noyer est nickel, juste quelques gnons et griffures, mais c'est solide. 

    La mécanique n'a pas pris une ride, vu que tout baignait dans une bonne graisse : auget, détente, interrupteur de répétition, culasse et tête mobile. Le canon est bien un peu usé, mais bien rayé et sans accident.

    Tout est fonctionnel et opérationnel. Et en excellent état.

    Je vous invite maintenant à la découverte de cette arme mythique, en insistant sur les différents marquages (vous me connaissez !)

    Pour commencer, j'ai vite constaté que les bois étaient noircis de crasse.

    Il fallait donc démonter les deux parties de la monture pour la nettoyer.

    Ce qui n'est pas simple quand on ne connaît pas le fusil. 

    À partir d'outils de rebut et de bouts d'acier, j'ai pu fabriquer - à la meule, à la scie à métaux et à la lime - des têtes de tournevis à ergots adaptées à plusieurs vis de différentes dimensions.

    Les chasse-goupilles sont indispensables pour sortir les ressorts des garnitures ainsi que l'axe de retenue de la tête de magasin.

    Les "outils" ne sont pas très ... joli-joli, mais ils ont fait leur job :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Voici la monture démontée, après lessivage et passages à l'acide oxalique.

    En particulier, on ne voyait pas que les bois étaient tigrés :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Une fois le bois nettoyé, passé à la cire et astiqué, j'ai remonté le fusil.

    La crosse :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Le matricule 93229 de la crosse est bien mieux lisible depuis le nettoyage du bois :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    La plaque de couche, de forme standard, est retenue par deux grosses vis à bois. Normalement, elle reçoit le numéro du corps d'affectation de l'arme. Mais pas toujours ...

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    La monture
    Un étonnant effet tigré :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Voici un agrandissement des matricules portés sous le boîtier et la monture. Même si le marquage du bois a plus souffert, on peut encore voir que c'est au numéro 93229. Les lettres index F et P sous le boîtier ne semblent pas reproduites sur les bois (H ?) ...
    Il faut avouer que la typographie des lettres index est particulièrement difficile à lire ...

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 


    Le canon démonté

    permet de lire les marquages cachés.

    Sous le tonnerre, deux poinçons E et deux marques des contrôleurs en charge des deux épreuves. 

    L'une s'assure du bon assemblage du canon sur le boîtier, l'autre est l'épreuve de résistance au tir d'une cartouche spéciale.

    Le chiffre 12 permet de savoir qu'elles ont eu lieu en décembre de l'année de fabrication. 

    Enfin le traditionnel coup de burin lors de l'assemblage du canon sur le boîtier :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Il est intéressant de noter que, depuis (au moins) 1840, sur TOUS nos fusils réglementaires, les poinçons d'épreuve du canon sont toujours apposées au même endroit, et toujours dans l'ordre : poinçon du contrôleur/poinçon E/n° du mois de l'épreuve !


    Les marquages

    Apposés à gauche du tonnerre, les initiales FV du fournisseur de l'acier du canon, les poinçons du Directeur de la manufacture R et du Contrôleur Principal de l'arme C, et, en dessous, le matricule 93229 et sa lettre index H cursive, identique à celle de la crosse :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    De l'autre côté du tonnerre les initiales MA pour Manufacture d'Armes, l'initiale S pour St Etienne et l'année de fabrication du fusil 1888 :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    La face gauche du boîtier porte le nom de la manufacture d'origine du fusil sous la forme :

    MANUFACTURE D'ARMES
    St Etienne

    et le modèle du fusil : MLE 1886  M 93

    Malheureusement, ces inscriptions sont assez peu appuyées ... et, avec le temps, deviennent parfois difficiles à lire.

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

     

    Les mécanismes

    Le boîtier vu de droite culasse fermée et verrouillée. C'est vraiment une belle arme.

    Devant le pontet, on voit le bouton quadrillé du levier d'enrayage de répétition - ici en position répétition - donnant la possibilité (!) au soldat de pratiquer le tir au coup par coup, comme sur un fusil Gras. 

    Transformer un fusil à répétition en arme à 1 coup : quelle chance !

    Ce genre d'accessoire était assez à la mode dans les années 80, en un temps où nos généraux redoutaient le tir "rapide" virtuellement gaspilleur de munitions ... :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Vue de la culasse fermée, chien à l'abattu. Le verrouillage est assuré par deux tenons opposés portés par la tête mobile. On note que le matricule H 93229 est répété sur le massif du levier de manœuvre :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    La culasse ouverte sur l'auget. On voit bien la vis assurant la tête mobile sur le corps de culasse. Excellent état intérieur :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Sous le boîtier, le pontet, lui aussi retenu par une f...tue vis à ergots !.

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Sur le haut du boîtier et du tonnerre, on note deux poinçons N.

    Ils ont été frappés à partir de 1932 suite à l'adoption de la cartouche de 8 mm Modèle 1932 N. Cette cartouche développée pour les mitrailleuses, était aussi distribuée à l'infanterie.

    Sur le fusil 1886 M93, la modification porte sur la chambre et le ressort de percussion.

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

     

    La hausse

    Elle est fixée au canon par brasure. Lors la modification de 1893, la fixation sera renforcée par deux griffes entourant le canon et soudées. 

    Vue de dessus, planchette abaissée, curseur à la position la plus en arrière : 4. Le cran de mire est donc à la hausse de 400 mètres :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Vue de gauche, les crans marquant les différentes positions et les indications de distances en hectomètres 4, 5, 6, 7 et 8. Ici, la planchette est basculée sur l'avant, dévoilant un cran de mire à la hausse de combat de 250 mètres.
    Les griffes sont bien mises en évidence :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Vue de dessus, planchette basculée sur l'avant, montrant
    - les échelles de distances de 900 à 2400 mètres par paliers de 100 mètres, les distances de 1000 à 2400 sur l'échelle    gauche et de 900 à 2300 à droite.

    - le curseur mobile portant son cran de mire placé à la hausse de 2300 mètres.
    - Le cran de mire à la hausse de combat de 250 mètres

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 


    Les rayures du canon

    Voici une vue de la bouche du canon montrant les 4 rayures, usées mais toujours bien saillantes :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 


    Rosalie

    Enfin, avant de terminer, comment ne pas évoquer sa "lame sœur", Rosalie, sa compagne :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Voici Rosalie au fourreau. C'est une pièce précoce à poignée en maillechort et qui possède encore son quillon recourbé en crochet. Il sera supprimé en 1916. Ici, le fourreau a perdu tout son bronzage :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    La lame est une aiguille à quatre arêtes, longue de 52 cm. Telle que, elle ne pouvait servir qu'à planter. Une lame plate aurait au moins permis de couper le bois ou le saucisson ... !

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    La poignée est en maillechort blanchâtre. On voit bien le poussoir de verrouillage :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    C'est une baïonnette à soie courte si on en croit cette vue du pommeau plat :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Rosalie s'attache très fort au canon, ça ne bouge absolument pas :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

    Cette vue permet de comprendre l'expression "canne à pêche" :

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel 

    Enfin, pour terminer cette courte visite, voici les dimensions principales du fusil : 

    Le fusil d'Infanterie Modèle 1886 M-93 Lebel

     

    CONCLUSION

    Le fusil Lebel est un incontournable pour toute collection d'armes réglementaires françaises du XIXe siècle.

    Il fait le lien avec le XXe siècle et les armes qui vont lui succéder : mousquetons et fusils Berthier, fusils Mas 36 et 49/56.

    Et en plus, il est très beau.

    Mais surtout, cette arme est chargée du souvenir des combats de la Grande Guerre.

    Tous les Français ont entendu son nom, et encore nombreux ceux qui ont toujours chez eux une Rosalie ou une paire de vieilles cartouches Lebel. 

    Sa silhouette est parfaitement cohérente avec celles des armes qui l'ont précédée depuis les fusils modèle 1840.

    Un fusil français se reconnaît de loin.

    Quand à moi, il ne me reste plus qu'à apprivoiser l'arme, sa munition et son rechargement en vue de l'emmener au pas de tir à 100 et 200 mètres.

    C'est à dire trouver un bon jeu d'outils, des étuis et des ogives, mais aussi les tables de rechargement.

    * * * *

    Avant de vous quitter, je vous informe que prochainement, une suite à cette page sera publiée où nous développerons les aspects politiques de l'adoption du Lebel, mais aussi son utilisation jusque pendant la guerre d'Algérie.

    À bientôt !


    2 commentaires
  • Amis de l'histoire et des armes anciennes, je viens avec un fusil des plus rares.

    Voici un Fusil de Marine Modèle 1840 :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    On remarque l'apparence équilibrée de cette arme, mais aussi le contraste de ses couleurs, le blond du bois, le blanc du fer et l'or du laiton. C'est une belle arme.

    * * * * * *

    Un fusil Modèle 1840 raccourci a été présenté dans ce blog il y a plusieurs années, voir ici.


    À titre de rappel, voici une présentation succincte du système 1840 :

    Ce système consacre une rupture complète dans la conception de notre armement.

    Jusqu'alors, la platine à silex régnait en maître absolu depuis le milieu du XVIIe siècle.

    La platine à silex était arrivée à une sorte de maturité avec le système 1822, aboutissement et perfectionnement du système 1777 / An IX.

    Mais leurs défauts n'avaient pas été éliminés :

    - une grande sensibilité à l'humidité, rendant impossible le tir par temps humide.
    - un trop grand nombre de ratés, en particulier dûs à l'usure du silex.
    - un tir d'ensemble rendu peu performant par le mode de chargement : une cartouche qu'il fallait "saigner" pour amorcer.

    La solution était connue : l'usage d'une capsule détonante assurant l'allumage de la charge était courant pour les armes de chasse dès les années 1820-25.

    Il y eut plusieurs prémices à l'adoption du système 1840 :

    En 1831, nos fabriquions quelques dizaines de Fusils de Rempart Modèle 1831. Ce fut une toute première arme militaire à percussion en France. Mais cette arme fort lourde - le canon était rayé - ne servait que dans nos fortifications afin de prendre à partie les sapeurs et artilleurs ennemis.

    En 1837 et 1838, nous adoptions en petit nombre le Fusil de Rempart Modèle 1837 et la Carabine de Tirailleurs Modèle 1838. Ces armes rayées étaient destinées à l'équipement de certaines de nos troupes en Algérie. 
    Il fallait pouvoir appliquer des tirs à longue distance, ce que ne pouvait pas faire le fusil en dotation : le Fusil d'Infanterie Modèle 1822 rappelons-le, était toujours à silex.

    En 1840, le temps était venu de tourner définitivement la page du silex.

    Les armes du système 1840 se distinguent de leurs devancières essentiellement par leur platine. Celle-ci est fort simple et ne comporte plus qu'un seul ressort assurant la mise en tension du chien et de la gâchette. 

    Le canon, dont la charge est désormais allumée par l'explosion d'une capsule, est pourvu des éléments suivants : une masselotte prise de forge avec la culasse est taraudée pour y visser une cheminée sur laquelle on va poser la capsule. La cheminée communique la flamme de la capsule par un canal débouchant de la masselotte dans la chambre à poudre.

    Pour le reste, le fusil 1840 est semblable aux armes précédentes : canon lisse, monture en noyer d'une seule pièce, fixation du canon par embouchoir, grenadière et capucine, plaque de couche plate, baïonnette à douille assurée par un tenon.

    Le canon, cependant, va bénéficier de deux nouveautés :

    - un cran de mire fixe est brasé sur la queue de culasse, donnant la hausse pour 150 mètres.
    - un guidon est brasé sur le dessus du canon, entre les bandes de l'embouchoir. 

    Ces deux éléments de visée vont, pour la première fois, permettre au fusilier de réaliser un véritable pointage. Progressivement la notion de "tir ajusté" va apparaître, puis on parlera de précision ... mais il faudra près de 30 années !

    Le système 1840 va très vite être remplacé par le système 1842 beaucoup plus simple et robuste. Seules quelques dizaines de milliers d'armes seront fabriquées pendant quatre ans. Elles ne seront mises en service que pour la Garde Nationale, puis stockées et revendues ou exportées.

    * * * * * *

    Revenons au vif du sujet avec cette vue du côté gauche de l'arme :

    Un fusil de Marine Modèle 1840


    Selon le Boudriot, ne seront produits que trois modèles de fusils 1840 :

    - le Fusil d'Infanterie,
    - le Fusil de Voltigeur,
    - le Fusil de Marine. Ce dernier fait uniquement par la Manufacture Royale de Tulle.

    Voici les principales dimensions du Fusil de Marine Modèle 1840 :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Le calibre du canon est de 18 millimètres.
    L'arme pèse 4,24 kg avec la baïonnette.

    Ces dimensions sont celles des fusils de Voltigeurs.

    Le fusil de Marine 1840 reçoit des garnitures en laiton et porte la baïonnette à douille Modèle 1822 :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    La platine

    C'est la pièce vraiment innovante du fusil 1840.

    Comme sur toutes nos platines depuis une centaine d'années, elle est marquée du nom de la Manufacture d'origine du fusil :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Cette platine restera quasiment inchangée jusqu'aux systèmes 1857-59, nos toutes dernières armes à percussion.

    Elle est retenue à l'arrière par une vis à ergots faisant pivot, à l'avant par une vis traversant la monture et vissant sur une rosette formant écrou. Le démontage est très simple : on retire la vis avant et on extrait la platine.

    Voici cette rosette formant écrou à la vis de platine.
    L'aile arrière de la rosette retient une forte goupille assurant le maintien du passant de bretelle et du pontet.
    On notera sur ces deux photos la présence de joues dans le bois de la monture. Par souci de simplification, elles disparaîtront à partir du système 1842.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    L'intérieur de la platine révèle la simplicité de sa conception :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Le mécanisme est animé par un unique ressort à lame, agissant en haut sur la noix par l'intermédiaire d'une chaînette, et en bas sur la gâchette.

    La bride de noix est retenue par deux vis, elle assure le pivotement de la noix et de la gâchette.
    Remarquons que les pièces de cette platine on été faites par le même ouvrier platineur portant le matricule 22. Noter aussi l'encoche à l'arrière de la platine qui correspond à la vis à ergots. Cette vis ne peut être retirée que par l'armurier de la compagnie, seul détenteur d'un tournevis à ergots.

    Le logement de la platine. Remarquer l'excellent état des encastrements.
    On notera la marque en V faite dans le bois. Elle correspond à une marque identique frappée au burin dans l'épaisseur de la plaque. 

    Ces marques étaient faites en manufacture au cours du montage de l'arme.
    Une platine était attribuée à une arme particulière et pour bien les appairer, une marque était pratiquée de manière indélébile.

    La correspondance de ces marques atteste que l'arme est bien homogène :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Le canon

    Le canon est l'autre pièce innovante du fusil 1840. 

    Il est constitué du canon proprement dit et d'un bouchon-culasse vissé.

    C'est la culasse qui retient notre intérêt car elle comporte une masselotte prise de forge et taraudée pour pouvoir y visser une cheminée de guerre.
    Une chambre à poudre est également ménagée dans la pièce.
    L'arrière de la culasse est taillé en biais et non plus droit comme on faisait d'habitude.
    Enfin, elle porte un cran de mire posé à queue d'aronde sur la queue de culasse. Ce cran de mire donne la hausse pour la distance de 150 mètres.

    Voici un dessin de la culasse vue en coupe (Cf. Boudriot,  1833-1861 Chargement Bouche Percussion) :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Une vue de la culasse de mon fusil, montrant la hausse, la cheminée vissée sur la masselotte, l'arrière en biseau et la jointure entre la culasse et le canon :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Comme on le voit, cette culasse va demander plusieurs usinages et ajustages, des fraisages, des taraudages, etc ...
    La complexité, la durée de fabrication et le prix de revient du fusil vont être augmentés.
    Ce seront là les principales raisons de l'abandon du système 1840 et son remplacement par le système 1842.

    Vu de haut : le cran de mire, la masselotte et sa cheminée, et la jointure avec le canon :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Remarquons que la zone autour de la cheminée a été fortement corrodée.
    C'est la trace des nombreux coups tirés durant la vie active de l'arme, sans doute en service au sein d'une Garde Nationale.
    Les amorces étaient particulièrement corrosives et ce n'est qu'assez récemment qu'on a corrigé ce défaut.

     

    Les marquages

    Le fusil a conservé plusieurs marquages.

    Sur le pan gauche du canon et de la culasse, nous trouvons :

    - les poinçons du directeur et du sous directeur de la Manufacture de Tulle, C et AC.
    - le marquage C de 18 pour Canon de 18 (millimètres). C'est la première utilisation d'une dimension en mesure métrique.
    - la culasse est marquée d'un poinçon de réception ovale 2.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Sur le pan droit, juste devant la cheminée se trouvent ces marquages :
    - 1844, le millésime de fabrication , fortement corrodé et quasi illisible.
    - Le marquage MR pour Manufacture Royale :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Enfin, sur la queue de culasse, devrait se trouver frappé le modèle du fusil.
    Ce marquage a disparu probablement par suite d'un ponçage trop appuyé...

    La crosse reçoit une estampille circulaire indiquant l'année de fabrication, l'initiale du nom de la manufacture, les initiales des noms du directeur et du 1er contrôleur.

    Au centre de cette estampille, une cheville en buis enfoncée dans la crosse est marquée des initiales des manufactures de l'état, ici MR pour Manufacture Royale. 

    Voici les différentes initiales des chevilles de crosse entre le Premier empire et la Troisième République :

    - Durant le Premier Empire : EF pour Empire Français.
    - De la Restauration jusqu'en 1848 : MR pour Manufacture Royale.
    - Durant la Seconde République (1848-1852) : MN pour Manufacture Nationale.
    - Durant le Second Empire (1852-1870) : MI pour Manufacture Impériale.
    - Sous la Troisième république : MA pour Manufacture d'Armes;

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Ici, la cheville a été grattée pour faire disparaître la mention MR, probablement en 1848 et pour des raisons d'opinion politique ...

    L'estampille circulaire a souffert du temps et des plus ou moins bon traitements.

    Tous ces poinçons et marquages sont à leurs emplacements réglementaires.

     

    Les garnitures

    Il s'agit des pièces assurant essentiellement la cohésion et le service de l'arme :

    - La plaque de couche située sous la crosse.
    - L'ensemble sous garde-pontet-battant de bretelle situé sous la poignée et le tonnerre.
    - L'ensemble capucine-grenadière-embouchoir retenant le canon à la monture.
    - La baguette de chargement placée sous le canon, dans une rainure dédiée.

     

    La plaque de couche

    Elle protège la crosse des chocs avec le sol. La plaque de couche est fixée par deux grosses vis à bois à têtes arrondies. Elle permet aussi une bonne position à l'épaule, facilitant la mise en joue lors des tirs. C'est une pièce épaisse car elle est soumise à rudes épreuves :

    Un fusil de Marine Modèle 1840 

     

    L'ensemble sous garde-pontet-battant de bretelle.

    La prise en mains du fusil est favorisée par la sous-garde. Cette pièce porte la queue de détente et le pontet qui la protège, mais aussi le battant de bretelle inférieur.

    Depuis les armes du système 1777, la sous-garde porte des coches permettant d'assurer la position des doigts lors des tirs. En effet, la puissance du recul exigeait une prise en mains la plus ferme possible.

    La sous-garde est retenue par une vis à bois et par la vis de culasse. De plus, le pontet, tenu par un crochet arrière, est lui-même retenu devant par le montant du battant de bretelle qui est assuré par une forte goupille traversant la monture de gauche à droite.

    L'ensemble sous-garde - pontet - battant de bretelle est donc fermement tenu par deux vis et une goupille.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    La capucine 

    Pourvu d'un retour inférieur, la capucine est bloquée contre un rebord de la monture par un ressort à pivot placé dans une rainure du bois. La capucine est le premier des trois bracelets retenant le canon, mais elle permet aussi de retenir la baguette avant qu'elle ne pénètre dans son canal percé dans la monture.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    La grenadière

    Le deuxième bracelet est la grenadière, qui retient également le canon et la baguette. Elle s'appuie sur un rebord de la monture et, comme la capucine, est bloquée à sa place par un ressort à pivot monté sur une rainure du bois. Cette pièce assure aussi le point de pivotement du passant de bretelle supérieur.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    L'embouchoir

    C'est le troisième et dernier bracelet. Il est placé à l'extrémité de la monture pour assurer trois fonctions:

    - Le maintien du canon et de la baguette, tout comme les autres garnitures.
    - La protection de l'extrémité de la monture, toujours fragile.
    - Faciliter la mise en place de la baguette par une ouverture élargie.

    Cette pièce est assez allongée pour former deux bandes supérieures autour du canon. Elle forme aussi une protection enveloppante à l'extrémité de la monture et enfin se prolonge en arrière pour assurer la baguette.

    L'embouchoir est retenu par un ressort à pivot muni d'un ergot et placé dans une rainure de la monture. 

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    La baguette 

    Dernière garniture du fusil, la baguette est l'élément indispensable pour charger le canon. Sa perte rend l'arme inutilisable.

    La baguette est une pièce en fer forgé de la même longueur que le canon. Sa tête "en forme de poire" est destinée à enfoncer la balle au contact de la poudre au fond du canon. Son autre côté est fileté pour recevoir le tire-balle - tire bourre, outil combiné permettant de décharger une arme ... que le tireur a chargé sans poudre. Ou de retirer un chiffon oublié au fond du canon. Cela se produit encore couramment de nos jours dans le circuit du tir aux armes anciennes.

    Enfin, la baguette est indispensable pour nettoyer le canon après un tir. À cet effet, on visse un lavoir sur son bout fileté afin d'y installer un chiffon que l'on passera dans le canon rempli d'eau afin d'en retirer toutes les crasses.

    Elle est transportée dans une rainure sous le canon. La baguette est maintenue en place par un ressort interne placé dans la monture, entre la platine et la capucine.

    Un fusil de Marine Modèle 1840 

     

    La baïonnette

    C'est l'attribut indispensable de tout fusil réglementaire de 1717 jusqu'à nos jours ! 

    La baïonnette du fusil 1840 reste celle du précédent système de 1822 : une baïonnette à douille, légèrement plus longue que celle de 1777. Elle mesure 52 cm de long, sa lame de 42 cm est de section triangulaire, plate du côté canon.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    La douille permet de fixer solidement la baïonnette au canon.

    Elle est creusée d'une fente en Z, renforcée à la base par un pontet, et à son milieu se trouve une virole rotative permettant de verrouiller le tenon de l'arme sur la douille.

    La lame, légèrement divergente, est déportée de 3,5 cm à droite de la douille, de sorte que l'on puisse tirer et charger le canon sans se blesser.

    Nos baïonnettes sont fabriquées par la Manufacture de Klingenthal jusqu'en 1831, puis par la Manufacture de Châtellerault.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Voici la baïonnette Mle 1822 en place au bout du fusil :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Sur cette photo, nous pouvons voir que le tenon est bloqué au bout de la fente par la virole : la baïonnette est immobilisée.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Bref comparatif 1840 vs 1842

    Le système 1840 est mort-né dès 1844-45 sera remplacé presqu'immédiatement par le système 1842, à la fois plus simple, plus robuste et moins coûteux à fabriquer. 

    Cette image nous montre deux fusils quasiment identiques.
    En haut, le fusil de Marine 1840, et dessous le Fusil de Voltigeurs Modèle 1842 T
    Apparemment, ils ont la même longueur, la même platine, la même baïonnette et la même monture :

    Un fusil de Marine Modèle 1840

     

    Avec cette photo, nous allons pouvoir détailler les points de différence : 

    - La monture à joues autour de la platine 1840 va disparaître sur le 1842.
    - La culasse du 1840 portant la masselotte et la cheminée va disparaître, remplacée par un simple bouchon-culasse.
    - Le canon 1842 porte une masselotte prise de forge et taraudée pour recevoir la cheminée.

    Par contre, la platine et les garnitures (plaque de couche, pontet, sous-garde, passants de bretelle et bracelets) seront conservés tels quels - hormis quelques modifications internes aux platines - jusqu'aux dernières armes à percussion du système 1857 - 59.

    Un fusil de Marine Modèle 1840

    L'usage du laiton est systématique pour les armes destinées à la Marine et aux troupes montées afin de tenir compte de leur environnement (air salin et sueur des chevaux). Cela concerne les armes pour la Marine, la Gendarmerie, la Cavalerie et l'Artillerie).

     

    Le système 1840, système mort-né

    Le système 1840 qui se voulait innovant va se révéler cher et complexe à fabriquer, notamment pour les différents usinages de sa culasse.

    Il va cependant adopter une excellente platine vraiment moderne, simple et robuste. Cette platine demeurera quasi inchangée pendant plus de 25 ans.

    Au plan pratique et tactique, les fusils Modèle 1840 permettront enfin de faire feu en tout temps, les ratés de l'ancien système à silex ont définitivement disparu.

    Car l'adoption de la mise de feu par percussion allait entraîner plusieurs améliorations tactiques.

    Premièrement, le chargement de l'arme étant simplifié, il devenait aussi plus rapide : augmentation du volume de feu de la troupe.

    Deuxièmement, la charge de poudre de la cartouche est intégralement versée dans le canon.
    La cartouche n'est plus "saignée" comme du temps du silex. Les coups de tous les fusils tous ont la même puissance, donc leurs balles ont la même trajectoire. Donc le tir est globalement mieux ajusté et plus performant.

    D'autant plus que, troisièmement, les capsules empêchent toute déperdition de gaz, car l'ancienne lumière est supprimée. 

    Pour autant, du point de vue de sa balistique interne et externe, le système de 1840 n'est pas fondamentalement différent des armes de Fontenoy.

    Le fusil Mle 1840 a toujours un canon lisse et tire une balle toujours ronde et en plomb.

    Cela signifie que, à cause des résidus de poudre noire, il faut ménager un "vent" à la balle.
    En effet, si on peut charger un fusil à chargement par la bouche avec une balle ajustée au diamètre du canon pour tirer juste 2 ou 3 coups, il devient impossible de le faire lorsque l'on tire davantage. 
    Car la poudre noire produit une grande quantité de résidus qui, en s'accumulant le long du canon, vont empêcher d'y charger la balle suivante.

    Il faut une balle d'un calibre légèrement plus faible de sorte que, malgré l'encrassement du canon, le tireur soit toujours en mesure de charger le coup suivant.

    Par conséquent, au départ du coup, la balle ronde va être propulsée dans le canon dans une suite de rebonds d'un bord sur l'autre.
    Et, à la sortie du canon, notre balle va pendre la direction donnée par le dernier rebond. C'est à dire jamais strictement dans l'axe.

    La vitesse initiale de la balle est considérable, plus de 420 mètres par seconde. Le fusil permet d'effectuer des tirs en salve jusqu'à 200 mètres, des tirs relativement ajustés jusqu'à 50 ou 60 mètres.

    Les fusils 1840 bénéficieront cependant d'une poudre noire de meilleure qualité, aux grains tamisés et plus homogènes. Cette poudre encrassera moins que les anciennes poudres de l'Empire.
    Il en résultera que l'on pourra enfin tirer avec un vent plus réduit sans détériorer la cadence de tir.

    La cartouche du fusil Mle 1840 contient 9 grammes de poudre à mousquet et une balle ronde de 17,2 mm de diamètre. Dans chaque paquet de 9 cartouches se trouve une barrette de 10 amorces à ailettes.

    La balle était chargé dans le canon du fusil enveloppée dans le papier de la cartouche, ce qui permettait de diminuer le vent.

     

    Pourquoi un "fusil de Marine" ? 

    La Marine a toujours eu ses exigences particulières en matière de matériel et d’armement.

    Ce n’est que très récemment que la Marine a adopté l’armement de l’Armée, et encore, avec modifications !

    En effet, le service en mer expose le navire et tout ce qu'il contient, l’équipage et bien entendu l’armement, à un environnement particulier. L’humidité, les embruns, l’eau de mer, la salinité, les questions d’encombrement, sont des contraintes qui n’existent pas sur la terre ferme.

    Les armes à feu et les armes blanches  répondent donc à un « cahier des charges » spécial.

    Dans la marine, on n’a pas de chevaux. Donc pas besoin de grands sabres.

    Dans la Marine, on est toujours encombrés, la place est rare. Par suite, les armes sont plus compactes : un Sabre de Bord Mle An IX est à peine plus long qu’un Briquet Mle 1767.

    Dans la Marine, on va adopter un armement spécifique au combat en milieu confiné. Pour les armes blanches : haches raccourcies, poignards, sabres courts.

    Pour les armes à feu : pistolets, mousquetons adaptés, fusils courts. La Marine sera longtemps la seule à utiliser la grenade.

    Le fusil Mle 1840 de Marine est identique au fusil de Voltigeur. Seule différence : on l'a équipé de garnitures en laiton (pontet, capucine, grenadière, embouchoir). Le laiton, ça ne rouille pas.

    Ce fusil est le plus court possible compatible avec une portée convenable.

    Un mousqueton est trop court, manque de puissance et perd très rapidement en justesse. C’est la raison pour laquelle les marins utiliseront le tromblon et surtout le pistolet à sa place.



    Les troupes de la Marine aux XVIIIe et XIXe siècles 

    Dans chaque vaisseau, il y avait un détachement de soldats équipés comme dans l’infanterie. 

    Leurs missions étaient variées :

    En mer, ils étaient chargés de la discipline générale à bord du navire. 

    En cas de combat naval, ils assuraient le tir de mousquèterie sur les vaisseaux ennemis depuis les hunes et choisissaient leurs cibles parmi les cadres des navires ennemis (anglais la plupart du temps).
    C'est ainsi que l’Amiral Nelson a été tué à la bataille de Trafalgar par un fusilier posté dans une hune du vaisseau Le Redoutable.

    Naturellement, ces soldats formaient l’essentiel des groupes d’abordage.

    Enfin, les fusiliers étaient aussi chargés de réaliser les débarquements en zone foraine, lorsque le navire devait faire halte pour se ravitailler ou pour rechercher du renseignement. 

    Il fallait alors protéger le mouillage contre d’éventuelles attaques (indigènes, trafiquants, ennemis …)

     

    Pour conclure

    Mon fusil de marine Modèle 1840 a gardé les traces d'un usage soutenu pendant plusieurs années. Police des Ports, ou Garde Nationale ? ... on ne saura jamais.
    Puis, stocké au sein d'un dépôt ... il a fini par être oublié.

    Avec ses cicatrices et les chocs de sa monture, cette arme est restée dans son jus, complète et conservant intactes toutes les caractéristiques de son système et la plupart de ses marquages.

    C'est aussi un fusil devenu rare. Très rare même. Donc un témoin précieux qui a sa place dans toute collection d'armes réglementaires françaises du XIXe siècle.

    C'est le mien. Et en plus, il est beau.

     

    À bientôt !


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  • Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur

    le tir au fusil par le fantassin du 1er Empire.

     

    Parce, comme la plupart de nos contemporains, nous nous imaginons que notre façon de tirer (positions, mouvements, etc ...) et notre expérience du tir étaient celle des soldats de la Grande Armée.

    Nous allons voir ce qu'il en était dans la réalité et que les méthodes de tir présentaient ... de grandes différences.

    Le fantassin de la Grande Armée était équipé d’un Fusil Modèle 1777 corrigé An 9 : 

    Le tir au fusil modèle 1777 / An IX

     

    Cette arme est un fusil à silex, pesant 4,5 kilos, mesurant 1,52 mètre sans sa baïonnette.

    Il tire une balle ronde conditionnée en cartouches.

    Outre son fusil et sa baïonnette, chaque soldat reçoit 60 cartouches.
    Il porte aussi un sabre court, le Briquet avec son fourreau.
    Et bien sûr un sac à dos en cuir de vache, une giberne, une gourde. Près de 30 kilos sans les armes.

    Le fusil modèle 1777/An 9 tire une balle ronde en plomb au calibre de "18 à la livre", c'est à dire de 16,54 mm de diamètre et pesant 27,19 g. Le vent (différence de diamètre entre la balle et le canon, permettant de charger une arme encrassée) est de 0,94 mm.
    La cartouche réglementaire est en papier. Elle est remplie, amorce comprise, d'1/40e de livre de poudre noire, soit 12,24 g.
    Le silex est censé donner 30 allumages.

    Pour davantage de détails sur la platine à silex et sa cartouche, voir ces pages.

    Performances :
    La vitesse initiale de la balle dépasse les 400 m/s.
    La portée "de but en blanc" est de 60 toises (120 m).
    La portée pratique est de 30 toises (60 mètres).
    Bien souvent on tirait encore à 20 mètres de l’ennemi !
    La portée maximum théorique est de 120 toises en visant 3 pieds (1 m) au dessus du but.
    La cadence maximum de tir est de 3 coups par minute
    pour un soldat entraîné.
    Taux moyen de ratés (défaut d'allumage de l'amorce) : 1 coup sur 12.
    Taux moyen de long-feu : 1 sur 30 coups.

    Pour recharger son fusil, le soldat devait, dans l’ordre :

    - de la main gauche, mettre son fusil à l'horizontale au niveau de la poitrine, crosse à droite,
    - de la main droite placer le chien à la position de demi-armé,
    - puis passer l’épingle dans la lumière pour dégager les résidus pouvant l’obstruer,
    - puis ouvrir la giberne et y prélever une cartouche,
    - porter la cartouche à ses lèvres puis déchirer le fond de cette cartouche avec les dents,
    - puis amorcer le fusil en “versant une partie“ de la poudre dans le bassinet,
    - puis, tout en tenant la cartouche ouverte sans la renverser, rabattre la batterie pour fermer le bassinet,
    - de la main gauche il place l’arme à la verticale, la crosse du fusil à terre,
    - de la main droite verser (enfin !) le reste de la poudre dans le canon,
    - puis introduire la balle enveloppée dans le papier de la cartouche,
    - puis sortir la baguette, la retourner et l'introduire dans le canon,
    - puis avec la baguette, pousser la balle dans le canon jusqu'au contact de la charge,
    - puis assurer la balle de 2 coups de baguette,

    - puis retourner la baguette et la remettre dans sa rainure,
    - puis remettre l'arme à l'horizontale,
    - puis épauler le fusil de la main gauche,

    - puis armer le chien de la main droite,
    - puis empoigner la poignée, pointer et …
    - enfin, il pouvait actionner la détente et tirer …

    tout cela en restant debout et immobile sous le tir ennemi

    sans lâcher l'arme ni la baguette, ni rien …

    Chaque jour à la caserne, les soldats répétaient les mouvements du chargement de leur fusil aux ordres des sergents. On répétait les mêmes mouvements jusqu'à les enchaîner par automatisme. Ce drill était absolument nécessaire au combat pour que les hommes en état de stupeur soient en mesure d'utiliser leurs armes.

    Chose largement passée sous silence, les soldats redoutaient le recul de leur fusil.
    Car le tir d’une charge de 12 grammes de poudre sur une balle ronde de près de 30 grammes donne lieu à un recul assez violent.

    La tentation de "saigner" la cartouche en jetant une partie de la poudre était grande ... d’autant qu’il fallait règlementairement le faire sur les mousquetons et les pistolets, car il n’existait qu’un seul modèle de cartouche : celle du fusil.

    Le soldat - qui devait remplir le bassinet "d'une certaine quantité de poudre" - en profitait souvent pour en verser À CÔTÉ ... toujours un peu de recul en moins au prochain coup !

    Ce n'est pas tout.

    Les vieux grenadiers ont un ‘truc’ pour améliorer leur cadence de tir.

    Il leur suffisait d'élargir la lumière du fusil à l’aide d’une petite lime ou d’ou lame aiguisée. Pourquoi ?

    1 - Ils réduisaient ainsi les risques de ratés d’allumage de la charge, la lumière élargie communiquant mieux la flamme. Inutile de préciser que ceci était strictement défendu. L'homme risquait un bon séjour en prison et la valeur de l'arme était retenue sur sa solde.

    2 - La lumière agrandie permettait simplifier le chargement du fusil : chien au demi-armé, batterie refermée ET VIDE, le soldat versait TOUTE LA POUDRE de la cartouche dans le canon, poussaient la balle avec le pouce et, en deux grands coups de crosse au sol, faisaient descendre le tout au fond du canon. Par la lumière élargie, la poudre sortait du canon et remplissait le bassinet. Le fusil était prêt à faire feu en quelques secondes, il ne restait plus qu'à armer le chien. Et on n'utilisait pas la baguette. 

    Évidemment, dans ces conditions et avec un tel traitement, les armes ne résistaient pas longtemps. 

    Mais une arme, ça se remplaçait aisément ... au soir d'une bataille, si le fantassin avait la chance d'en sortir vivant ET entier, il n'avait qu'à se baisser pour échanger son arme avec celle d'un mort. Ni vu ni connu ...

    Qu’on se représente bien l’état de stress psychologique dans lequel se trouvait le jeune soldat au combat : il voyait son voisin atteint d’une balle et s'effondrer, il voyait des files entières d’hommes renversés par les boulets de canon, la fumée de plus en plus opaque, les cri des blessés, le grondement incessant de l’artillerie, le choc du recul de son fusil à chaque coup tiré, l’explosion de l’amorce au raz de ses moustaches, les ordres hurlés par les officiers et les sergents, le roulement incessant des tambours … dans ces conditions, on comprend l'utilité du "dressage" effectué à la caserne en répétant les mouvements du chargement de l'arme pendant des heures.

    Le soldat qui sortait vivant d'une bataille "apprenait" la guerre rapidement et, dès lors que la bataille était victorieuse, se forgeait un moral lui permettant de tout supporter.

    Quand on relit les mémoires du Capitaine Coignet, sachant qu'il fut grenadier au combat, on sent bien que nous sommes en présence d'hommes incroyablement durs au mal. Résistants au stress, à la faim, à la soif, à la fatigue et capables de marcher jusqu'à 60 km en une journée avec armement et sac. Et ils restaient malgré tout cela en mesure de combattre l'arme en main, parfois au corps à corps à la baïonnette !

    Quand on contemple, qu'on a en mains une de ces armes faites aux XVIIIe ou au XIXe siècle, avec son usure, son bois cogné et maltraité, il faut s'imaginer ces hommes qui ont tout donné pour leur pays, leur Patrie, leur Nation. Jeunesse, santé, et souvent la vie, ces hommes nous ont offert ce qu'ils avaient de plus précieux pour que nous soyons là ou nous sommes. 

    À Fontenoy et à Austerlitz, à Wagram et à Sébastopol, à Camerone et à Bazeilles, à la Marne et à Bir-Hakeim, mais aussi à Beyrouth et à Tombouctou, des hommes ont tout laissé pour que la France reste la France.

    C'est tout cela que l'on devine, que l'on ressent, lorsque l'on tire avec ces armes ou qu'on les nettoie après le tir.

    Car il existe une discipline sportive dans le circuit des Arquebusiers de France et de la FFTir.

    Il s'agit d'une épreuve tirée à 50 mètres (sur arme d'origine ou réplique) de 13 coups en 30 minutes, en position debout et sans appui, sur cible C200.

    À bientôt


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  • Bonjour à tous, amis du blog et de l'histoire !

    Voici donc un Fusil d'Infanterie Modèle 1867, issu de la transformation d'un Fusil de Voltigeur Mle 1857 :

    Un fusil à tabatière
    Un fusil à tabatière
    Un fusil à tabatière

    Avant d'examiner cette arme, il n'est peut-être pas inutile de restituer succinctement le contexte dans lequel elle est apparue.

    Pour cela, faisons un rapide point sur les connaissances en balistique en 1867. C'est parti :

    Depuis 1840 et l'adoption - pour l'ensemble de notre armement - de la mise de feu par percussion, les progrès furent constants. Dès lors, on pouvait ENFIN utiliser notre armement par temps humide (pluie, brouillard, neige...).
    Dès lors également, on put ENFIN commencer à envisager un meilleur comportement de nos armes : cadence de tir, justesse puis précision, et les expérimentations se succédèrent :

    - on savait déjà rayer les canons de rayures hélicoïdales permettant que la balle soit guidée et stabilisée par effet gyroscopique ... sous certaines conditions, on obtenait une très nette amélioration de la précision des tirs.
    Défaut : lenteur et difficulté du chargement puisqu'il fallait charger la balle (ronde) à coups de maillet, et fort risque de déformation de la balle annulant toute précision.

    - on essaya la "balle à sabot", une balle ronde attachée à un tampon en bois appelé sabot, système sensé stabiliser la balle dans un canon qui était encore lisse. Légère amélioration du pourcentage de balles arrivant dans une cible aussi grande qu'une porte cochère ... 
    Défaut : le sabot est détruit par le tir et au sortir du canon, ses éclats sont dangereux pour les voisins du tireur.

    - on essaya la "chambre rétrécie", système devant permettre - par matage de la balle ronde - de lui faire épouser les parois du canon et éviter les aléas dus au "vent" (différence de diamètre de la balle et de l'intérieur du canon. Ce "vent" était indispensable pour permettre de recharger l'arme malgré les crasses et résidus des tirs précédents)
    Ces "chambres rétrécies" furent essayées sur des canons lisses et rayés. On constatait que la  précision augmentait quelque peu ...
    Défauts : les crasses d'accumulaient au fond de la chambre rétrécie au point de la combler, annulant tout effet. Les balles, matées sur le pourtour de la chambre à grands coups de baguette, étaient complètement déformées et perdaient le peu de précision qu'elles auraient pu avoir. Le nettoyage de la chambre était compliqué et difficile. Enfin, le coût d'usinage d'une culasse à chambre rendait le prix de l'arme trop élevé. La faible amélioration de la précision fit abandonner ce système.

    - on essaya la "chambre à tige", système analogue à la chambre rétrécie mais inversé, sur nos carabines de Chasseurs rayées et sur nos armes du système de 1853, lisses. Une longue tige était vissée au centre et au fond de la culasse, ménageant un espace pour la charge de poudre, mais dépassant de celle-ci. Le principe était que la balle devait être frappée à la baguette pour que, stoppée par la tige, son pourtour épouse les rayures du canon. Le projectile ogival utilisé était l'énorme balle Tamisier pesant 47,5 g ! Ce système fut utilisé lors de la campagne d'Italie. La "précision" s'améliorait tout de même.
    Défauts : là encore, encrassement très rapide de l'espace inter-tige et nettoyage compliqué, coût de fabrication, irrégularité du tir dû aux déformations de l'ogive, balle très (trop) lourde définissant une trajectoire peu tendue ... L'apparition de la balle expansive à jupe du Capitaine Minié fit abandonner aussi ce système :

    - En effet, entre 1845 et 1851, on eut enfin l'idée d'utiliser une balle ogivale creuse, au diamètre à peine inférieur à celui du canon au plat des rayures. Cette fois, on tenait la solution permettant de tirer convenablement avec un fusil rayé à chargement par la bouche. Le chargement et le tir sont aussi simples que sur une arme lisse et la précision est vraiment meilleure. On ne parle plus de pourcentage de balles arrivant dans un rectangle donné à telle distance, mais de précision individuelle de chaque arme. Le nom de Minié restera attaché à ce type de balle qui fut introduit en 1854.

    - En 1841, cependant, la Prusse avait adopté une arme révolutionnaire, rendant obsolètes tous les autres systèmes.
    Le fusil Dreyse et sa culasse mobile à aiguille permettait pour la première fois le chargement par la culasse adaptable à une arme militaire, c'est à dire possédant des
    qualités de simplicité et de robustesse suffisantes. Bien entendu, le fusil était rayé, et d'une précision suffisante jusqu'à 300 mètres. L'énorme avantage tactique offert par cette arme (et toute arme à chargement par la culasse) était de permettre le chargement du fusil en position couchée. Alors que sur toute autre arme à chargement par la bouche, les soldats devaient rester debout et immobiles sous le feu ennemi pour recharger ...

    Mais le Dreyse devait rester secret longtemps ... et d'autres inventeurs se manifestèrent, surtout dans ces trois pays : les USA, l'Angleterre et la France. Citons en vrac : Henry Peabody, Casimir Lefaucheux, Jacob Snider, Manceau & Vieillard, Sharps, Henry, Chassepot, etc ...

    Examinons maintenant ce fusil en détail.

    La platine marquée de la Manufacture Impériale de Tulle. Le chien est à l'armé, prêt à agir sur la tête moletée du percuteur. La tête du chien a été légèrement relevée et décalée afin de correspondre à la tête du percuteur.
    La tête du percuteur est en forme de bouton moleté. Ça donnait une prise aux doigts du tireur pour tirer le percuteur vers l'arrière en cas de percement de l'amorce :Un fusil à tabatière

    Le chien est ici à la position de demi-armé. Cette position permet de conserver une arme approvisionnée. Il suffira de relever le chien et le fusil sera prêt à faire feu. Lorsque le chien est à l'abattu, il cache entièrement la tête du percuteur.

    On remarque que son encastrement a souffert ... Ici, c'est la monture qui accuse les ans bien davantage que les fers et aciers.Un fusil à tabatière

    La hausse en L.
    Le défaut de cette hausse est de masquer la vue autour du point visé lorsque l'on utilise le cran intermédiaire de 400 mètres. Une hausse analogue à celle de la carabine 1859 ou même du fusil Mle 1866 eut été un bien meilleur choix.
    Un fusil à tabatière

    L'intérieur de la platine.
    Cet ensemble est restée à l'état neuf. Noter que la platine porte toujours la dénomination de son modèle : Mle 1857.

    Observons que le matricule J28 est poinçonné sur toutes les pièces, y compris les têtes de vis. Ce matricule est celui du compagnon platineur qui a fabriqué la platine :
    Un fusil à tabatière

    La culasse fermée. Cette culasse est du premier modèle.
    On remarque l'échancrure qu'il a fallu pratiquer dans la monture pour recevoir la boîte de culasse. Cette pièce reçoit le canon qui est vissé dedans, et porte une queue de culasse abaissée venant se visser sur l'écusson de détente à la place de l'ancienne.
    Un fusil à tabatière

    La culasse ouverte.
    Très bel état intérieur. On remarque le fond échancré de la culasse mobile  et le N° matricule frappé dessous, le ressort de rappel de l'extracteur monté sur l'axe de la culasse :Un fusil à tabatière

    On remarque ici l'orifice du percuteur. 
    La percussion des fusils 1867 était l'un des seuls défauts de conception, car elle se faisait presque à 45°.
    Du coup la percussion des cartouches - parfois de mauvaise fabrication - pouvait donner lieu à des ratés. 
    Il arrivait qu'il faille percuter à 2 ou 3 reprises avant que la cartouche ne consente à faire feu ... On comprend que certains soldats n'appréciaient pas trop ... 
    Bonne vue aussi sur le fond de la boite de culasse et sa rainure en relief destinée à faciliter la prise de l'étui vide :Un fusil à tabatière

    Les pièces démontées, culasse présentée vue de dessus et de dessous. De haut en bas :
    - le percuteur, son ressort de rappel et sa vis-arrêtoir,
    - la culasse et son "tire-cartouche" (on ne parlait pas encore d'extracteur), les deux portent le n° matricule,
    - l'axe de rotation de la culasse, son ressort de rappel, sa vis-arrêtoir :
    Un fusil à tabatière

    La chambre et la naissance des rayures :Un fusil à tabatière

    L'intérieur du canon. C'est ce qu'on appelle "une glace" :Un fusil à tabatière

    Voici l'une des cartouches que je fabrique à partir de douilles en plastique calibre 12 :Un fusil à tabatière

     

    En conclusion :

    - Le fusil est complet, le mécanisme de la culasse à tabatière est fonctionnel et sans jeu, les ressorts sont très fermes.

    - La culasse du premier type se démonte aisément, elle est restée en excellente condition.

    - La platine est également à l'état neuf, toutes les pièces bien matriculées J28.

    - La monture a anciennement reçu une attaque de vers, fort heureusement stabilisée. Elle reste bien solide.

    - Le tampon de crosse a disparu, la cheville de buis est restée en place, mais les initiales MI sont effacées.

    - L'intérieur du canon est quasiment miroir, quelques traces en fond de rayures et du côté de la bouche.

    - La baguette est bien du modèle, c'est à dire une tête de clou modèle 1847 N mais avec un trou traversant pour loger une broche.

    - La hausse est du type anguleux. La planchette en L - avec crans pour 200, 400 et 600 mètres - est bien maintenue par son ressort, aucun jeu. 

    - Les marquages : Manufacture Impériale de Tulle sur la platine, poinçons de réception sur les garnitures, matricule 2302 à l'intérieur de la culasse.

    - Lors de la transformation au modèle 1867, le canon a été coupé à 4,5 cm de  la tranche du tonnerre, puis taraudé et fileté afin de le visser dans une nouvelle boîte de culasse. Dès lors, les marquages de la queue de culasse et des pans droit et gauche du canon disparaissent.

    Bref, dans ma collection, ce fusil est bien là ou il est, car l'arme n'est pas vraiment aisée à dénicher.

     

    Juste avant de terminer :

    jetons un petit coup d'œil à ses "collègues" du Second Empire :

    Le fusil Modèle 1866 Chassepot :

    Un fusil à tabatière

    Le fusil Remington "Egyptien" (Importé par le gouvernement de la Défense Nationale) :

    Un fusil à tabatière

    Le fusil Snider BSA (Également importé par le gouvernement de la Défense Nationale) :

    Un fusil à tabatière

    La carabine modèle 1859 (Campagne du Mexique) :

    Un fusil à tabatière

    Le fusil modèle 1854 de la Garde (Campagne d'Italie) :

    Un fusil à tabatière

    Le fusil modèle 1853 T Car (Campagne de Crimée) :

    Un fusil à tabatière

    Le fusil modèle 1822 T Bis (Campagne du Mexique) :

    Un fusil à tabatière

    Le mousqueton de Gendarmerie modèle 1842 (Campagnes de Crimée, d'Italie et du Mexique):

    Un fusil à tabatière


    Comme vous le voyez : le Second Empire, c'est vraiment mon thème favori ...


    A bientôt !


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  • Amis collectionneurs, je viens vous présenter un fusil très particulier :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    Il s'agit de toute évidence d'un Fusil d'Infanterie Modèle 1874 Gras.
    Il présente toutes les caractéristiques de l'arme réglementaire : dimensions, poids, fonctionnement, mais il n'y n'a aucune indication de modèle, ni de manufacture, pas de numéro de série. Pas de poinçon de réception.

    Juste quelques tout petits marquages et poinçons qui en font un fusil totalement civil, peut-être fabriqué pour l'équipement des nombreuses sociétés de tir qui s'installaient alors partout en France, encouragées par les plus hautes autorités publiques.

    Le fusil mesure 1,31 m, son canon fait 0,83 m depuis la tranche du tonnerre.

    Il pèse 4,250 kg avec la bretelle.

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    L'arme est restée en excellent état, pour ne pas dire quasiment neuve, notamment l'intérieur du canon et sa culasse mobile.

    Le bronzage noir est un peu terni, la monture en noyer est toujours solide avec de ci, de la, quelques traces, rayures et petits chocs. Globalement très propre.

     

    Examinons l'arme dans ses détails visibles.

     

    Le boîtier côté gauche culasse ouverte. Arètes vives, bronzage profond, état de surface très propre :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir 

    Sous la hausse se trouve le seul marquage significatif visible, le poinçon des armuriers de Saint-Etienne :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir 

    Le boîtier vu de dessus, culasse fermée, l'acier des pièces de la culasse mobile est dans un très léger poli gris clair, un beau contraste avec le bronzage noir du boîtier :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    Le boîtier vu de la droite, culasse ouverte, on voit nettement les fraisages internes de la modification de 1880. La manœuvre de la culasse montre une fabrication très ajustée, bien serrée, il n'y a absolument aucun jeu :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La culasse mobile retirée montre qu'elle porte le chiffre 1 poinçonné sur la tête mobile, sur le cylindre et sur le chien; remarquons aussi que le levier a noirci, la transpiration de l'utilisateur à marqué l'acier :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La culasse démontée. C'est tellement serré que le percuteur, collé par la graisse, a eu du mal à sortir.

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La hausse mobile retournée vers l'avant pour montrer la double échelle des distances, graduée en hectomètres.

    À gauche, l'échelle pour le cran mobile inférieur donnant les portées entre 350 et 1300 mètres. À droite, l'échelle pour le cran supérieur de la rallonge donnant les distances de 1400 à 2000 mètres.

    Cette hausse est donc assez compliquée à utiliser pour le brave biffin de 1880. Ainsi, lorsque le tir est ordonné pour la distance de 700 mètres, notre fantassin doit choisir le bon cran de mire sachant qu'il en a 4 superposés devant ses yeux :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La crosse du fusil ne porte ni macaron ni matricule. Même s'il est resté en excellent état, le noyer a été taché près du bec de crosse. C'est le signe que la plaque de couche a été anciennement rouillée, là encore la marque d'un mauvais stockage :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La grenadière et son anneau de bretelle retenu par un ressort à pivot :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    L'embouchoir et son ressort à pivot, la baguette et le tenon de baïonnette. Il faut noter que la grenadière et l'embouchoir sont polis blanc et semblent n'avoir jamais été bronzés. Le guidon, de grande taille, monté à queue d'aronde fait saillie de 5 mm sur son embase :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La bouche du canon. Le guidon triangulaire et son embase. L'intérieur du canon montre les quatre rayures. La photo prise à la lumière du jour le rend mal, mais l'intérieur du canon est miroir, les rayures sont profondément marquées et sans le moindre accident :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    La chambre et la naissance des rayures. Là encore, notez l'état interne du canon et des rayures. L'emplacement rectangulaire situé au dessus de la chambre est le logement de la griffe de l'extracteur :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

     

    Poursuivons notre visite après avoir séparé la monture de l'ensemble canon-boîtier.

     

    Voici les marquages relevés sous le canon.
    Tout d'abord la marque du canonnier, un certain E. Block de Saint-Etienne.

    La mention du calibre : 11,0 mm.
    Le trait au burin d'alignement du boîtier et du canon.
    Sous le canon et le boîtier sont répétés le chiffre 1 déjà relevé sur les pièces de la culasse :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    À l'intérieur de la monture nous voyons l'inscription manuscrite au crayon "N° 1" ainsi que le minuscule poinçon 1 :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

     

    Conclusion.

     

    Ce fusil est pour moi une énigme.

    De fabrication très soignée, l'intérieur est en meilleur état que l'extérieur qui a subi les marques d'un usage qui a dû se limiter à des manipulations. Le canon et la culasse mobile sont restés à l'état neuf et sans usure.

    On a pris soin de numéroter à l'identique les principales pièces de l'arme. S'agit-il d'un exemplaire de pré-série au vu de son numéro 1 ?

    Le fusil est homogène car toutes les principales pièces : le canon, la culasse, le boîtier de culasse et la monture ont reçus le même poinçon 1. Ce n'est pas un remontage, toutes les pièces ont été assemblées neuves pour réaliser ce fusil. 

    Mais nous ne saurons probablement jamais à qui a servi ce fusil.

    Dans une société de tir, alors qu'il n'a quasiment pas tiré ... ?

    Dans un "bataillon scolaire" ou il n'aurait servi qu'à faire de l'ordre serré ... alors qu'on trouvait des "armes factices" faites pour cela ?

    Pour ce qui me concerne, il me reste à lui refaire des cartouches, puis à l'essayer au tir.

     

    * * * * * *

     

    En guise de tableau final, voici le fusil avec ses cartouches d'origine et une baïonnette Mle 1874. À noter que c'est une bretelle de fusil Mle 1886 Lebel qui est montée, bien que légèrement différente de celle du Gras :

    Un fusil Gras Modèle 1874 M80 pour société de tir

    À bientôt pour d'autres découvertes !


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  • Aujourd'hui, je vous propose un sympathique modèle de Sabre de Sous-Officier d'Infanterie aux tout débuts de la Révolution, probablement entre la fin de l'année 1789 et l'été de 1790.

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier à garde tournante

    Ce sabre est dit "à garde tournante". Ces armes ont été fabriquées sur une assez courte période allant des années 1780 jusqu'au Directoire.

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    L'arme est intéressante à plusieurs titres :

    - par son système de garde pliante.
    - par les slogans portés des deux côtés de la lame.
    - par la signature du fourbisseur.

    Le sabre se présente comme un "petit Montmorency" avec sa lame courbe, assez courte et creusée d'un large pan creux.
    Il est plutôt court, 80,5 cm hors tout et très léger : 500 grammes.
    Sa lame mesure 67,5 cm, elle est large de 2,7 cm et épaisse au fort de 8 mm. La flèche est de 2 cm.

    La poignée, très caractéristique du type.

    Comme toujours, la poignée en bois est traversée par la soie de la lame. Cette pièce de bois est enroulée d'une ficelle. Sur le tout est collée une pièce de basane noire, elle-même entourée d'un triple filigrane composé d'un fil de laiton torsadé entouré de deux fils simples. Ce type de filigrane, très décoratif, assure une bonne prise en mains.

    Au bas de la poignée est inséré une virole en laiton qui reçoit la queue de la calotte, cette pièce qui surmonte l'ensemble et assure à la fois le rivetage de la soie et l'axe de rotation supérieur de la branche de garde mobile.

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    Sous la poignée, un plateau de garde ovale, largement ajouré, vient s'intercaler entre la lame et la poignée. Il donne naissance à un arc de jointure - ou branche de garde - arrondi qui vient se fixer sous la calotte. Sous le plateau de garde se trouve l'axe de rotation inférieur de la fameuse "garde tournante" ou branche de garde mobile. S'y trouve également le système permettant de verrouiller cette pièce lorsqu'elle est déployée.

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    Sur cette photo de la poignée, branche de garde repliée, on voit distinctement le verrou et son poussoir :

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    Lorsque la branche de garde est déployée à 90°, elle vient se verrouiller sous le plateau de garde. Sous la pression de sa lame-ressort, le doigt de verrouillage vient bloquer la branche mobile :

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    Cette vue de dos nous montre la longue queue de la calotte brasée dans la virole inférieure de la poignée. Sur le plateau de garde, le bouton en fer permettant le déverrouillage de la branche de garde mobile : 

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante 

    La lame du sabre.

    Cette lame présente plusieurs textes gravés que nous allons examiner.

    La partie droite porte ce slogan : " VIVE LE ROŸ . VIVE LA NATION". Cette véritable profession de foi détermine aisément la période ou a été faite cette lame, probablement entre l'hiver 1789 et l'été 1790.
    La Fête de la Fédération, en particulier, célèbrera à la fois le Roi et la Nation, mais aussi la jeune Garde Nationale du marquis de Lafayette :

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    De l'autre côté, une autre maxime proclame : "VIVE LA GARDE NATIONAL". (Sans E). Ce vigoureux slogan nous conforte dans la quasi certitude de l'époque ou a été forgée la lame du sabre.
    La Garde Nationale fut crée la veille de la prise de la Bastille et, sous les ordres de Lafayette, joua un grand rôle dans le déroulement de la Révolution. Précisons que le Drapeau Tricolore est né au sein des bataillons de la Garde Nationale :

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    La lame de ce sabre a été faite fort loin de Paris. En effet, le talon de la lame porte la signature du fourbisseur : "VEUVE GOZE & FILS Maîtres FOURBISSEURS À METZ".
    Nous possédions déjà la Manufacture d'Alsace, dédiée à la fabrication de nos baïonnettes et des lames de nos sabres. Mais en ces temps ou la désorganisation du royaume était une réalité, une foule de fourbisseurs, de forgerons et d'armuriers "citoyens" était appelée à augmenter une production que la future Manufacture de Klingenthal avait bien du mal à assurer seule :

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    Conclusion.

     

    Cette très belle arme est bien caractéristique des productions - et de la mode - de son époque.

    Un sabre très évocateur des premiers temps de la Révolution, en un moment ou la France, unie autour de l'idée de Nation et de la personne du Roi, se dirigeait vers une hypothétique monarchie constitutionnelle. Cela ne devait pas durer et allait rapidement se terminer en jus de guillotine.

    Il nous ramène vers la figure de celui qui était - et constitue toujours - le système nerveux de nos armées : le Sous-Officier.

    Très discrets et la plupart du temps restés dans l'oubli de l'Histoire, les Sous-Officiers ont le rôle essentiel de régler l'ordonnance des troupes, de faire exécuter les ordres de leur Officiers et même de les remplacer au combat.
    Progressivement, le Sous-Officier deviendra un Chef à part entière, son sens tactique et son instinct du combat le rendra incontournable.

    Et, par dessous tout, le Sous-Officier sera toujours un exemple à suivre pour ses hommes.

    Vers 1789 : un sabre de Sous-Officier d'Infanterie à garde tournante

    À bientôt !


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  • Voici une pièce plutôt intéressante qui, sans être vraiment rare, ne se rencontre pas sous les sabots d'un cheval.

    Son dessin n'est pas inconnu sur ce blog (Voir les sabres 1767), mais présente plusieurs différences qui changent son appellation.

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    D'après le gros ouvrage de J. Lhoste et P. Resek "Les Sabres portés par l'Armée Française", il s'agit d'un Sabre d'Infanterie des Compagnies d'Élite.

    Ces sabres sont très inspirés par les Sabres de Grenadier 1767.

    Comme leurs devanciers, ils ont une monture en deux parties, la poignée d'une part et l'arc de jointure-plateau de garde d'autre part. L'arc de jointure vient s'encastrer sous la calotte et la poignée vient serrer le plateau de garde sur la lame par le point de rivure du sommet de la calotte.

    La poignée ne comporte pas les cannelures habituelles, mais est agrémentée de seize facettes longitudinales qui en font le tour. Les oreillons ont disparu. La garde a également perdu ses oreillons.

    Si l'arc de jointure est de forme classique, le plateau de garde est simplement une plaque de laiton assez fine (3 mm) et aplatie, découpée en arrondis.

    La lame en fer forgé est bien conservée, probablement d'origine allemande, de style Montmorency . Elle est plate hormis une longue gouttière qui suit le talon. Plutôt mince avec une épaisseur de 0,5 cm. Pas de poinçon de fourbisseur, aucune marque de manufacture.

    Cependant, un beau marquage GR couronné a été profondément poinçonné des deux côtés de sa lame. Ces initiales sont bien connues : GR pour Georges Rex, c'est à dire le Roi d'Angleterre Georges III, implacable ennemi de la France qu'elle fut royale, révolutionnaire ou impériale.

    Cela ne peut signifier qu'une chose : ce sabre a été pris par les anglais, probablement en mer sur un navire Français, puis comme les Anglais savent reconnaître une bonne arme, il a été marqué pour réclamer et affirmer sa nouvelle appartenance. Ce sabre est certainement une prise de guerre.


    Examinons l'arme en détail.


    De profil, la poignée montre la simplicité de son décor à facettes, la calotte en forme de bonnet surmontée du gros point de rivure de la soie :

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    L'arc de jointure est de forme standard, élargi en haut, aux bords taillés en biseau : 

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    Le plateau de garde à 90° de l'arc de jointure est absolument plat, découpé en arrondis et assez fin avec une épaisseur de 0,3 cm : 

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    Gros plan sur les deux poinçons au monogramme GR couronné du roi d'Angleterre Georges III :

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite

    Donnons enfin les dimensions du sabre :

    Un sabre d'infanterie des Compagnies d'Élite


    Conclusion.


    Une pièce des plus passionnantes, témoin d'une période charnière de notre histoire, ayant marquée durablement le cours du monde.

    L'affrontement de cinq cent ans entre la France et l'Angleterre qui dure depuis le XIVe siècle va bientôt prendre fin avec la chute de l'Empire en 1815. La domination anglaise sur les Sept Mers va lui donner accès aux immenses richesses d'un empire qui s'étendra partout.

    La France va lentement entreprendre sa reconstruction après les terribles pertes des guerres européennes de Napoléon Ier. Une période de paix d'une cinquantaine d'années lui permettra de reprendre sa place en Europe continentale, avant que le désastre de 1870 ne voit l'émergence de l'Allemagne, nouvelle puissance militaire.

    La collection des armes anciennes est toujours un excellent moyen de pénétrer notre histoire dans ses détails afin de la comprendre concrètement.

    À bientôt.


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