• Les grenadiers de l'Empire et le tir au fusil modèle 1777 / An IX

    Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur

    le tir au fusil par le fantassin du 1er Empire.

     

    Parce, comme la plupart de nos contemporains, nous nous imaginons que notre façon de tirer (positions, mouvements, etc ...) et notre expérience du tir étaient celle des soldats de la Grande Armée.

    Nous allons voir ce qu'il en était dans la réalité et que les méthodes de tir présentaient ... de grandes différences.

    Le fantassin de la Grande Armée était équipé d’un Fusil Modèle 1777 corrigé An 9 : 

    Le tir au fusil modèle 1777 / An IX

     

    Cette arme est un fusil à silex, pesant 4,5 kilos, mesurant 1,52 mètre sans sa baïonnette.

    Il tire une balle ronde conditionnée en cartouches.

    Outre son fusil et sa baïonnette, chaque soldat reçoit 60 cartouches.
    Il porte aussi un sabre court, le Briquet avec son fourreau.
    Et bien sûr un sac à dos en cuir de vache, une giberne, une gourde. Près de 30 kilos sans les armes.

    Le fusil modèle 1777/An 9 tire une balle ronde en plomb au calibre de "18 à la livre", c'est à dire de 16,54 mm de diamètre et pesant 27,19 g. Le vent (différence de diamètre entre la balle et le canon, permettant de charger une arme encrassée) est de 0,94 mm.
    La cartouche réglementaire est en papier. Elle est remplie, amorce comprise, d'1/40e de livre de poudre noire, soit 12,24 g.
    Le silex est censé donner 30 allumages.

    Pour davantage de détails sur la platine à silex et sa cartouche, voir ces pages.

    Performances :
    La vitesse initiale de la balle dépasse les 400 m/s.
    La portée "de but en blanc" est de 60 toises (120 m).
    La portée pratique est de 30 toises (60 mètres).
    Bien souvent on tirait encore à 20 mètres de l’ennemi !
    La portée maximum théorique est de 120 toises en visant 3 pieds (1 m) au dessus du but.
    La cadence maximum de tir est de 3 coups par minute
    pour un soldat entraîné.
    Taux moyen de ratés (défaut d'allumage de l'amorce) : 1 coup sur 12.
    Taux moyen de long-feu : 1 sur 30 coups.

    Pour recharger son fusil, le soldat devait, dans l’ordre :

    - de la main gauche, mettre son fusil à l'horizontale au niveau de la poitrine, crosse à droite,
    - de la main droite placer le chien à la position de demi-armé,
    - puis passer l’épingle dans la lumière pour dégager les résidus pouvant l’obstruer,
    - puis ouvrir la giberne et y prélever une cartouche,
    - porter la cartouche à ses lèvres puis déchirer le fond de cette cartouche avec les dents,
    - puis amorcer le fusil en “versant une partie“ de la poudre dans le bassinet,
    - puis, tout en tenant la cartouche ouverte sans la renverser, rabattre la batterie pour fermer le bassinet,
    - de la main gauche il place l’arme à la verticale, la crosse du fusil à terre,
    - de la main droite verser (enfin !) le reste de la poudre dans le canon,
    - puis introduire la balle enveloppée dans le papier de la cartouche,
    - puis sortir la baguette, la retourner et l'introduire dans le canon,
    - puis avec la baguette, pousser la balle dans le canon jusqu'au contact de la charge,
    - puis assurer la balle de 2 coups de baguette,

    - puis retourner la baguette et la remettre dans sa rainure,
    - puis remettre l'arme à l'horizontale,
    - puis épauler le fusil de la main gauche,

    - puis armer le chien de la main droite,
    - puis empoigner la poignée, pointer et …
    - enfin, il pouvait actionner la détente et tirer …

    tout cela en restant debout et immobile sous le tir ennemi

    sans lâcher l'arme ni la baguette, ni rien …

    Chaque jour à la caserne, les soldats répétaient les mouvements du chargement de leur fusil aux ordres des sergents. On répétait les mêmes mouvements jusqu'à les enchaîner par automatisme. Ce drill était absolument nécessaire au combat pour que les hommes en état de stupeur soient en mesure d'utiliser leurs armes.

    Chose largement passée sous silence, les soldats redoutaient le recul de leur fusil.
    Car le tir d’une charge de 12 grammes de poudre sur une balle ronde de près de 30 grammes donne lieu à un recul assez violent.

    La tentation de "saigner" la cartouche en jetant une partie de la poudre était grande ... d’autant qu’il fallait règlementairement le faire sur les mousquetons et les pistolets, car il n’existait qu’un seul modèle de cartouche : celle du fusil.

    Le soldat - qui devait remplir le bassinet "d'une certaine quantité de poudre" - en profitait souvent pour en verser À CÔTÉ ... toujours un peu de recul en moins au prochain coup !

    Ce n'est pas tout.

    Les vieux grenadiers ont un ‘truc’ pour améliorer leur cadence de tir.

    Il leur suffisait d'élargir la lumière du fusil à l’aide d’une petite lime ou d’ou lame aiguisée. Pourquoi ?

    1 - Ils réduisaient ainsi les risques de ratés d’allumage de la charge, la lumière élargie communiquant mieux la flamme. Inutile de préciser que ceci était strictement défendu. L'homme risquait un bon séjour en prison et la valeur de l'arme était retenue sur sa solde.

    2 - La lumière agrandie permettait simplifier le chargement du fusil : chien au demi-armé, batterie refermée ET VIDE, le soldat versait TOUTE LA POUDRE de la cartouche dans le canon, poussaient la balle avec le pouce et, en deux grands coups de crosse au sol, faisaient descendre le tout au fond du canon. Par la lumière élargie, la poudre sortait du canon et remplissait le bassinet. Le fusil était prêt à faire feu en quelques secondes, il ne restait plus qu'à armer le chien. Et on n'utilisait pas la baguette. 

    Évidemment, dans ces conditions et avec un tel traitement, les armes ne résistaient pas longtemps. 

    Mais une arme, ça se remplaçait aisément ... au soir d'une bataille, si le fantassin avait la chance d'en sortir vivant ET entier, il n'avait qu'à se baisser pour échanger son arme avec celle d'un mort. Ni vu ni connu ...

    Qu’on se représente bien l’état de stress psychologique dans lequel se trouvait le jeune soldat au combat : il voyait son voisin atteint d’une balle et s'effondrer, il voyait des files entières d’hommes renversés par les boulets de canon, la fumée de plus en plus opaque, les cri des blessés, le grondement incessant de l’artillerie, le choc du recul de son fusil à chaque coup tiré, l’explosion de l’amorce au raz de ses moustaches, les ordres hurlés par les officiers et les sergents, le roulement incessant des tambours … dans ces conditions, on comprend l'utilité du "dressage" effectué à la caserne en répétant les mouvements du chargement de l'arme pendant des heures.

    Le soldat qui sortait vivant d'une bataille "apprenait" la guerre rapidement et, dès lors que la bataille était victorieuse, se forgeait un moral lui permettant de tout supporter.

    Quand on relit les mémoires du Capitaine Coignet, sachant qu'il fut grenadier au combat, on sent bien que nous sommes en présence d'hommes incroyablement durs au mal. Résistants au stress, à la faim, à la soif, à la fatigue et capables de marcher jusqu'à 60 km en une journée avec armement et sac. Et ils restaient malgré tout cela en mesure de combattre l'arme en main, parfois au corps à corps à la baïonnette !

    Quand on contemple, qu'on a en mains une de ces armes faites aux XVIIIe ou au XIXe siècle, avec son usure, son bois cogné et maltraité, il faut s'imaginer ces hommes qui ont tout donné pour leur pays, leur Patrie, leur Nation. Jeunesse, santé, et souvent la vie, ces hommes nous ont offert ce qu'ils avaient de plus précieux pour que nous soyons là ou nous sommes. 

    À Fontenoy et à Austerlitz, à Wagram et à Sébastopol, à Camerone et à Bazeilles, à la Marne et à Bir-Hakeim, mais aussi à Beyrouth et à Tombouctou, des hommes ont tout laissé pour que la France reste la France.

    C'est tout cela que l'on devine, que l'on ressent, lorsque l'on tire avec ces armes ou qu'on les nettoie après le tir.

    Car il existe une discipline sportive dans le circuit des Arquebusiers de France et de la FFTir.

    Il s'agit d'une épreuve tirée à 50 mètres (sur arme d'origine ou réplique) de 13 coups en 30 minutes, en position debout et sans appui, sur cible C200.

    À bientôt


  • Commentaires

    1
    richard
    Lundi 13 Février 2023 à 19:22

    superbe , merci pour ce partage 

    2
    richard
    Lundi 10 Avril 2023 à 18:44

    bonjour  toujours heureux de vous lire ;  trés bon article sur chargement de a l' époque. merci

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