• La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    Bonjour à tous et ... bonne et heureuse année 2024 !

    Pour  cette première communication de l'année, on va commencer très fort.

    Nous allons découvrir une arme splendide et plutôt rare dans son incroyable état de fraîcheur.

    Voici la Carabine Modèle 1846 à Tige :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Mais avant de découvrir l'arme en détail, prenons le temps de décrire le système à tige et ses devanciers :

    Le système à tige de notre carabine s'inscrit dans le cadre de la recherche conduite depuis plusieurs années autour de l'amélioration de la précision et de la portée de nos armes rayées.

    Nos premières armes militaires rayées tiraient une balle ronde, enveloppée dans un "calpin" de tissu gras, que l'on chargeait dans le canon à coups de maillet.

    C'était le cas des "Carabines de Versailles" Modèles 1793 et An XII. Très difficiles à utiliser de par le mode de chargement, elles ont rapidement été abandonnées.

    30 années plus tard, on reprit les essais sur le rayage des armes portatives, études rendues nécessaires par la situation en Algérie ou les tribus autochtones utilisaient des armes de portées supérieures à celle de nos Fusils Mle 1822 lisses.

    C'est ainsi que, à la suite des essais de M. Delvigne, Lieutenant de la Garde Royale, on adopte la Carabine de Tirailleurs Mle 1837 dite "Petite Carabine" et le Fusil de Rempart Mle 1838 dit "Grosse Carabine", armes rayées tirant une balle ronde placée sur un sabot. La culasse de ces armes était rétrécies de sorte que l'on pouvait aplatir la balle en plomb à coups de baguette, ce qui l'élargissait en l'imprimant sur le relief des rayures.
    Voici un schéma tiré de l'ouvrage de Jean Boudriot "les armes réglementaires à percussion 1836 - 1857" :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    On développa plusieurs armes longues rayées selon ce principe, tout en recherchant à simplifier leur fabrication et tâtonnant quand au rayage de leur canon. Ce furent successivement : la Carabine Mle 1840, dite "Carabine Thierry", le Fusil de Rempart Mle 1840, le Fusil de Rempart Allégé Mle 1840, la Carabine Mle 1842, dite "Carabine d'Orléans", et enfin le Fusil de Rempart Mle 1842.

    La distinction entre un fusil de rempart et une carabine tient essentiellement au calibre : 20,5 mm d'un côté et 17,5 mm de l'autre. Les fusils de remparts étaient destinés à effectuer des tirs au posé à longue distance sur buts sensibles tels que canonniers et officiers par exemple.

    Au final, ces armes donnaient une portée et une précision meilleures que celle de nos fusils lisses, mais au prix de graves inconvénients :
    - La chambre rétrécie se révèlera difficile à nettoyer, l'accumulation des résidus rendant impossible le bon forcement de la balle.
    - Le sabot en bois compliquait la fabrication des cartouches, et trop souvent, il se fendait dans l'âme du canon et projetait des éclats dangereux pour les voisins du tireur. 

    Il fut alors décidé d'abandonner le système Delvigne de chambre rétrécie.

    On adopta un système inverse : la culasse à tige. La culasse, de même diamètre que le canon, recevait une forte tige vissée en son milieu. L'espace entre le canon et la tige était destiné à recevoir la charge de poudre.

    La balle ronde à sabot de bois était abandonnée. On adopta la forte et lourde balle cannelée ogivale de M. Tamisier. 

    On chargeait la balle enveloppée par le papier de la cartouche directement sur la poudre, la balle arrêtée par la tige recevait deux forts coups de baguette pour s'élargir et prendre la rayure. Le nez de la baguette était creusé d'une empreinte pour correspondre à l'ogive sans la déformer.

    Ce schéma tiré du même ouvrage nous explique le système :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Ce sytème apporta une notable amélioration de la précision des tirs jusqu'aux distances de 200 mètres et plus.

    Les carabines à tige donnèrent entièrement satisfaction aux troupes qui en étaient équipées : la Légion Étrangère et les Zouaves en particulier, qui servaient alors essentiellement en Algérie. Les hommes étaient formés à l'utilisation de ces armes radicalement différentes des fusils 1842 alors en service.

    Cependant, et à l'image de ce qui avait été déploré sur les chambres rétrécies, l'espace entre la tige et le canon, destiné à recevoir la charge de poudre, s'encrassait rapidement, la poudre dépassait de la tige et gênait puis empêchait l'expansion de la balle, du coup la précision chutait fortement. Il devenait nécessaire de procéder au difficile nettoyage du canon et de la tige.

    La solution définitive à la problèmatique du tir précis sur une arme rayée chargée par la bouche viendra avec les travaux de M. Minié et de sa balle évidée, mise au point entre 1845 et 1851 et adoptée en 1854.

    * * * * * *

    La Carabine Modèle 1846 conserve les mêmes dimensions que les carabines des modèles précédents, notamment les carabines 1840 et 1842.

    L'arme mesure 1,26 m et son poids est de 4,33 kg.

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    Voici une petite revue de détail, organe par organe et leurs marquages. Commençons la visite :  

    La platine

    La platine est marquée de la Manufacture Royale de Châtellerault.
    Il s'agit d'une platine inversée identique à celles qui équipent toutes nos armes depuis les systèmes 1840 et 1842 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    L'intérieur de cette pièce nous montre une platine modèle 1840 avec ses piliers de bride de noix rapprochés. On note que la gâchette, la noix, la bride de noix et ses vis ont été forgées par le même compagnon platineur identifié sous le n° 16 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    La hausse réglable

    La hausse réglable en fonction des distances est, à cette époque, l'apanage exclusif des carabines rayées. Elle est d'un modèle à la fois simple et pratique qui permet d'ajuster une visée sans masquer la vue autour de la cible. C'était le principal défaut des hausses à trous superposés qui équipaient nos carabines précédentes.

    La hausse se compose d'une embase longue de 61 mm, brasée à 88 mm de la tranche arrière du canon et portant une planchette graduée, que l'on pouvait relever, et un ressort plat agissant sur le pied de la planchette. Un curseur mobile, portant un cran de mire, pouvait se mouvoir à frottement dur le long de la planchette. Il suffisait alors de le placer en regard du repère marqué à la distance sur la planchette pour obtenir la hausse correspondante. 
    En position rabattue, la planchette porte un cran de mire pour la hausse de 150 mètres.
    En position relevée, la hausse porte en bas un cran de mire fixe pour la distance de 250 mètres, puis un repère pour la distance de  350 mètres, puis six repères marqués 4 à 9, pour 400 à 900 mètres par paliers de 100, enfin un cran fixe en haut donne la hausse pour 1000 mètres.
    La curseur est retenu par une petite vis en haut de la planchette de sorte qu'il ne soit pas perdu.
    À l'usage, et à l'usure, on s'apercevra que le curseur devenait parfois trop libre sur sa planchette et qu'il tenait mal en place. Il était alors soit resserré, soit remplacé.

    Donnant toute satisfaction, ce type de hausse sera conservé quasiment tel quel sur nos carabines 1846, 1853 et 1859, mais également sur les fusils Mle 1853 T car de la Guerre de Crimée.

    La hausse rabattue présente un cran de mire pour la distance de 150 mètres. De nous jours, on l'appellerait "hausse de combat". Le cran de mire est largement entaillé pour permettre un pointage rapide, une visée plus précise reste possible par le petit cran de mire :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    La photo de la hausse rabattue montre distinctement les crans et repères de la planchette de 250 à 1000 mètres ainsi que le curseur mobile :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Voici la hausse relevée.
    On visualise bien l'angle qu'il fallait donner à l'arme pour appliquer des tirs à grande distance :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    Le tonnerre, la masselotte et la queue de culasse

    Le tonnerre porte la masselotte et sa cheminée. Devant la masselotte, l'année de fabrication 1847. Sur le pan latéral droit, les initiales MR pour Manufactures Royales.
    La cheminée est en excellent état. Et pourtant elle est d'origine :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Vue de dessus, la queue de culasse porte de manière réglementaire le millésime du modèle de l'arme : Mle 1846. Elle porte également une vis qui assure la fixation du canon, traverse la monture et vient se serrer dans la sous-garde :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sur le pan incliné gauche, les poinçons D et L du Directeur et du Premier Contrôleur de la Manufacture de Châtellerault :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Juste en dessous, voici la rosette formant contre-platine et écrou pour la vis de fixation de platine. 

    Sur le pan latéral, le chiffre 17 est poinçonné. Il s'agit d'un numéro matricule attribué à l'arme lors de sa réception en corps de troupe, conformément à l'article 71 de la décision ministérielle du 1er Mars 1854. Nous verrons que ce matricule est répété sur la crosse :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    La monture

    La monture : c'est la partie en bois de l'arme, celle par laquelle on saisit et on tient la carabine. Elle est d'une seule pièce, mais on distingue trois parties : la crosse, la poignée et le fût.

    La crosse permet d'épauler la carabine, elle maintient l'arme contre l'épaule à la distance nécéssaire pour prendre une bonne visée.

    Réglementairement, le matricule - poinçonné sur le pan gauche du canon - est répété sur le côté gauche de la crosse et parallèlement à la plaque de couche, comme ici : 

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Mais ... curieusement, nous retrouvons ce matricule également sur le busc de la crosse à un emplacement non réglementaire. À côté un n° 30 dont on ignore la signification... 
    Observons que ce numéro 17 a été frappé avec les mêmes outils aux deux emplacements :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    À sa droite, la crosse porte, de manière réglementaire, un macaron et une cheville.
    Le macaron indique le mois et l'année de fabrication : ici Décembre 1847 (Le mois est écrit en abrégé DEC-BRE) ainsi que les initiales du Directeur et du Premier Contrôleur de la Manufacture, ici L et D encadrés par des étoiles.
    Au centre du macaron, les initiales en capitales MR - pour Manufactures Royales - frappées sur une cheville de buis. À noter l'excellent état de ces marquages :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sous la crosse, tout près de la plaque de couche, se trouve le battant de bretelle spécifique des carabines :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Sous la poignée, derrière la sous-garde, un marquage nous révèle l'identité du Maître-Crossier, un certain G. Bussereau :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Les garnitures

    Les garnitures : c'est ainsi que l'on désigne l'ensemble des pièces et éléments qui assurent la cohésion et le service de l'arme.

    La pièce de sous-garde, avec ses très classiques coches pour la prise des doigts, et le pontet. Les coches pour les doigts permettaient d'assurer fermement la prise de la poignée par la main gauche, c'était nécessaire compte tenu du fort recul au tir.
    La sous-garde assure aussi le maintien du canon car elle forme écrou à la vis de culasse. Elle maintient la détente et le pontet. Elle est retenue à la monture par la vis de culasse et une vis à bois à l'arrière des coches. Le pontet est retenu par un crochet à l'arrière et une vis à métaux à l'avant.
    À nouveau, l'identifiant 11 est poinçonné sur les têtes de vis  :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
     

    La grenadière est la première "bande" reliant le canon au fût. Cette pièce assure le guidage de la baguette dans son canal et porte le deuxième battant de bretelle.
    La grenadière est maintenue contre un épaulement du fût par un ressort à épaulement planté dans le fût. Ce ressort peut s'effacer dans une courte rainure afin de libérer la grenadière lorsque l'on veut démonter le canon :

    La Carabine à Tige Modèle 1846 

     
    L'embouchoir est la deuxième et dernière "bande" qui retient le canon sur la monture. Il assure aussi la protection du bout du fût, un endroit assez fragile car toujours très aminci.
    Enfin, l'embouchoir permet l'entrée de la rainure de la baguette par un orifice en forme de bouche.
    Il est maintenu en place par un ressort à ergot planté dans la monture et que l'on peut effacer dans une rainure :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Enfin, nous venons de l'évoquer, la crosse porte une forte plaque de couche en fer formant retour sur le busc. 
    Sur la plupart des armes de guerre, anciennes ou pas, cette plaque de couche est le plus souvent fortement marquée par les chocs de la crosse au sol, mais aussi par la corrosion.
    À noter que les têtes de vis (plaque et battant) sont poinçonnées 11, identifiant le compagnon qui était chargé de les forger.

    À nouveau, on notera le très bel état de la plaque de couche de cette carabine :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    La baguette est la dernière garniture de notre carabine. Elle est absolument indispensable au tir, car la baguette est le seul moyen de charger la munition dans le canon. Elle sert aussi à nettoyer le canon, et, si nécessaire, à extraire une balle ou un chiffon coinçés au fond du tube.
    La baguette est de la même taille que le canon, moins la hauteur de la tige (38 mm) : 0,83 m.

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Cette baguette est une forte tringle en acier, filetée à une extrémité. De l'autre côté, elle forme une tête tronconique et massive, creusée d'une empreinte pour s'adapter à l'ogive. La tête est percée d'un trou permettant d'y glisser une broche indispensable lorsqu'il faut extraire une balle. Le diamètre de la tête est de 16,8 mm. Au fort, la baguette est épaisse de 9,7 mm.

    La tête de baguette est prévue pour s'adapter à l'ogive pour ne pas la déformer par les chocs. On note que le N° 17, le matricule de la carabine, est poinçonné sur la baguette :

    La Carabine à Tige Modèle 1846
    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Le canon

    Le canon est un tube en fer forgé, épais au tonnerre et aminci à la bouche. Au tonnerre, il porte 5 méplats longs de 10 cm sur les côtés et de 8 cm au sommet, le reste du canon est de forme cylindro-tronconique. Il porte au tonnerre, nous l'avons vu, une masselotte permettant d'y visser la cheminée de guerre et une hausse réglable.

    Côté bouche, le canon porte un petit guidon de forme demi-cylindrique placé sur une embase rectangulaire. L'ensemble, haut de 7 mm, est brasé sur la directrice du canon, à 17 mm de la bouche. Ce guidon forme, avec la hausse, les organes de visée de la carabine.

    Sur son côté droit, à 45 ° du guidon, le canon porte une directrice de baïonnette et son tenon en T. Cette pièce, longue de 94 mm, est brasée. Elle est destinée à recevoir une baïonnette modèle 1842.

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Côté tonnerre le canon est fermé par une culasse vissée à chaud, prolongée par la queue de culasse.

    Cette vue permet de comprendre comment la culasse ferme le canon. Il s'agit d'un bouchon fileté venant se visser dans le canon, le bouchon est prolongé par un pan tronconique se terminant par la queue de culasse. On voit bien le coup de burin donnant l'alignement de la culasse et du canon. Le compagnon canonnier qui a forgé la pièce l'a marqué d'un étoile. Le n° 575 est répété sous le canon afin d'appairer les pièces d'une même arme :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    Sous le canon, nous voyons les marques faites au cours de l'épreuve de résistance au tir d'une cartouche spéciale : le poinçon E, le chiffre 10 (pour le mois d'Octobre) et le poinçon du Directeur de la manufacture en losange. L'épreuve a été validée en Octobre 1847 :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    Le canon est foré au diamètre de 17,8 mm. Il porte 4 rayures plates tournant de gauche à droite au pas de 2 mètres. La profondeur des rayures est dégressive, passant de 0,5 mm à la culasse à 0,2 mm à la bouche. 

    Cette disposition était destinée à limiter l'affaiblissement des parois du canon, tel qu'on le concevait alors. L'expérience, notamment des campagnes de Crimée et d'Italie, allait montrer qu'il n'en n'était rien et que l'on pouvait rayer à 0,3 mm de profondeur uniforme sans danger.

    Cette photo le rend mal, mais les quatre rayures sont restées dans un excellent état : ni usure, ni corrosion, ni accidents :

    La Carabine à Tige Modèle 1846


    La Baïonnette

    La carabine modèle 1846 reçoit la baïonnette modèle 1842, à forte lame courbe longue de 57,5 cm montée sur une poignée en laiton fondu et une croisière en fer forgé.

    La forme recourbée de cette baïonnette n'était pas destinée à impressionner l'ennemi. C'est une légende à la vie dure ! La lame de cette arme prend simplement une forme permettant de charger la carabine sans se blesser à la main lorsque la baïonnette est fixée au canon :

    La Carabine à Tige Modèle 1846

    La Carabine à Tige Modèle 1846

     

    * * * * * *

    Conclusion


    Cette très belle carabine nous est parvenue dans un incroyable état de fraîcheur. Dans cet état, sans avoir été transformée T en 59-60, l'arme est exceptionnelle. La carabine est certainement restée longtemps oubliée au fond de l'armurerie d'un corps de troupe resté fort loin des soubresauts de notre histoire...

    Exceptionnelle, et encore davantage, si l'on songe aux transformations à tabatière effectuées massivement par le Gouvernement de la Défense Nationale dès le mois d'Octobre 1870 : tout y passait, y compris d'antiques fusils Mle 1816 à silex de la Garde Nationale !

    Cette carabine est devenue le témoin passionnant d'une période de forte "ébullition technologique".
    Entre 1838 et 1859, la France adopte successivement une douzaine de modèles réglementaires de carabines rayées ! Et on n'évoque même pas les modèles d'essais et autres prototypes.

    Cette étude est à lire dans la suite de celle que j'ai consacrée à la Carabine Modèle 1859.

     

    À bientôt pour d'autres découvertes !


  • Commentaires

    1
    Lau
    Lundi 18 Mars à 12:40
    Bonjour, j'ai la même avec un poinçon AFt une idée ?
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :